Et si le repas était l’ennemi de l’économie? Le repas était anticapitaliste et c’est pourquoi les restaurants sont fermés. N’importe quel patron ou économiste vous le dira: l’économie, c’est d’abord de la confiance. Et celle-ci disparait lorsque les autorités communiquent mal ou prennent des décisions qui semblent incohérentes. Pareille absence de confiance se voit d’ailleurs de différentes manières.
La première, c’est le taux d’épargne : les Belges ont épargné 23 milliards d’euros de plus que d’habitude en 2020. Dans leur style docte, les économistes parlent tantôt d’épargne forcée et tantôt d’épargne de précaution. L’homme de la rue n’en a cure de ce vocabulaire, il épargne parce qu’il n’a pas confiance dans l’avenir et parce qu’on lui a répété ad nauseam qu’il y aura bientôt un mur de faillites énorme et un tsunami de chômeurs. Comment être cigale dans ces conditions d’esprit ?
L’autre manière de mesurer cette absence de confiance des citoyens, c’est le passage d’une partie de notre économie en mode clandestin. Sauf si ma vue a baissé, je n’ai pas eu l’impression de rencontrer des citoyens hirsutes durant mes sorties en ville ou mes rencontres de bureau. Bref, je n’ai pas besoin de pointer un secteur en particulier pour savoir qu’une partie des métiers interdits de pratiquer l’ont quand même fait mais en mode clandestin. Le résultat ?
L’argent échangé n’a pas été taxé ou soumis aux cotisations sociales. En clair, c’est un manque à gagner pour les caisses de l’Etat ou de la Région qui en ont pourtant cruellement besoin. Quant au titulaire de la profession concernée, il se rassurera comme l’humoriste Philippe Bouvard en se disant qu’un « fraudeur fiscale n’est rien d’autre qu’un contribuable qui s’obstine à vouloir garder un peu d’argent pour son propre usage ». L’économie au noir est une autre manifestation de cette absence de confiance des citoyens.
Mais ce qui me frappe aussi, c’est de voir des esprits bien formés, bien éduqués tomber dans le registre du complot. Je ne sais pas si un esprit aussi brillant que celui de Jacques Attali, l’économiste et écrivain bien connu, tombe dans ce registre, mais c’est bien lui qui vient de rédiger une page d’opinion chez mes confrères du quotidien économique Les Echos (France), dans laquelle, il écrit que le repas est un ennemi de l’économie.
En d’autres mots, si on a interdit les restaurants, c’est sans doute parce que le repas est anticapitaliste. Ne vous frottez pas les yeux, vous avez bien lu, « anticapitaliste ». Le raisonnement de ce polytechnicien est le suivant, je le cite, « les restaurants ne sont pas uniquement un lieu de consommation alimentaire, ils sont avec le repas familial ; les lieux principaux de la conversation et de la transmission. »
Or ; les pouvoirs dans toutes les sociétés n’aiment pas que les gens bavardent en mangeant : ils y échangent des informations, ils y discutent de sujets politiques ; ils y organisent des coalitions (…). Tout cela hors du contrôle du pouvoir qui ne sait rien de ce qui s’est dit : or, c’est très dangereux pour lui.
Et Jacques Attali d’ajouter, dans son délire ou sa raison, on ne sait plus comment qualifier ce raisonnement, je le cite à nouveau : « que le repas en commun prend du temps ; du temps sur le travail, du temps sur la consommation d’autre chose que de la nourriture », et donc selon Jacques Attali, le repas est un ennemi de l’économie, un ennemi de la productivité, sans oublier que « nos sociétés font tout pour tuer les repas, pour qu’on mange ailleurs, et surtout pas ensemble : pour qu’on mange seul, devant un ordinateur ou dans un coin de l’atelier ».
Alors, je ne sais pas si Jacques Attali délire complètement, joue l’humour au 3ème degré ou pas, mais l’absence de confiance, c’est aussi ça. Découvrir en plein hiver 2021 que le repas est anticapitaliste. Avouez que vous n’y aviez jamais pensé. Moi, non plus d’ailleurs. Merci qui ? Merci Jacques !