Il semble bien que nous bouderons les fêtes de Carnaval cette année, la Covid 19 et ses mutants variés nous compliquent décidément la vie. Alors pour vous inspirer sur ce qui peut se faire ailleurs à cette occasion, voici un carnaval connu comme « el más raro del mundo », à savoir le plus étrange au monde, au même titre d’ailleurs que le carnaval de Binche qui a également hérité de ce label tout comme le carnaval de Bielsa à Huesca en Espagne, celui de Fasnacht en Suisse et celui de Ivrea en Italie.
Chaque dimanche, du 20 janvier jusqu’au Mardi-Gras, la ville de Tenosique, aux confins de l’état de Tabasco, s’éveille au rythme d’un carnaval très particulier. Qu’en est-il en fait ?
Tabasco, un petit État
Tout le monde connaît la sauce pimentée que l’on appelle tabasco et qui ne doit pas grand chose à l’état du même nom. Elle est née d’un mélange bien dosé entre des piments rouges mûrs d’origine mexicaine, de l’état de Tabasco, et du sel de l’île d’Avery en Louisiane. Ce cocktail explosif imaginé en 1868 est mis en bouteille après avoir fermenté pendant trois ans dans des barriques de chêne blanc, tout comme le vin.
On ignore en général que le Tabasco est d’abord un petit état du Mexique enclavé dans le Golfe du Mexique au nord du Chiapas, qui mériterait que l’on s’y égare un peu avant de prendre la route vers les sites mayas de Calakmul au Campeche ou de Palenque au Chiapas.
Sa capitale, Villahermosa, est aujourd’hui une métropole moderne dont l’expansion soudaine s’explique par la découverte de nappes de pétrole au large de ses côtes.
La campagne, quant à elle, se partage entre forêts luxuriantes, savanes herbeuses et lagunes fangeuses. Abondamment irriguée, la terre est riche en fourrages pour alimenter des troupeaux de vaches placides aux longues oreilles qui s’abritent du soleil à l’ombre de palmiers.
Sites mayas méconnus de Comalcalco et de Pomoná, anciennes haciendas dédiées à la culture du cacao, réserve de la biosphère avec près de 300.000 ha de marécages dessinés par l’entrelacs de rivières, plages paisibles où les hamacs se balancent sous des paillottes, autant de petites merveilles à débusquer au fil de la visite.
Mais le plus étonnant est ailleurs, dans une célébration carnavalesque inédite qui se tient dans la ville de Tenosique, aux confins de l’état, et qui lui a valu le label envié de « Carnaval más raro del Mundo ».
Tout commence le 20 janvier, le jour de la fête de Saint Sébastien, par une grande bataille d’œufs durs évidés et garnis de farine qui oppose les habitants des différents quartiers dans une joyeuse fête qui se termine par un grand bal populaire sur la grand-place de la petite ville.
Par la suite, chaque dimanche jusqu’au Mardi Gras, la plupart des habitants se travestissent pour célébrer la fameuse Danse du Pochó pour le plus grand plaisir d’un public nombreux attiré par cette festivité peu commune.
Ce rituel serait né au 19ème siècle, à l’époque où les Espagnols engageaient des équipes de travailleurs qui partaient en forêt récolter le caoutchouc ou encore couper le bois précieux du cèdre ou de l’acajou.
Le retour des hommes coïncidait avec le carnaval et à cette occasion, on organisait une fête avec des équipes qui s’affrontaient pour gagner le sceptre et la couronne du roi carnaval. La population a continué à célébrer l’événement en adaptant la célébration à partir de rituels mayas.
Tout le cérémonial tourne autour de trois personnages qui s’unissent dans une danse mystique dont l’unique objectif est de vaincre le dieu Pochó, une divinité maligne qui cherche à induire le peuple vers le mal.
Les femmes portent l’habit des « pochoveras », à savoir des prêtresses vêtues de longues jupes fleuries et d’une blouse blanche brodée rehaussée d’un foulard coloré. Elles portent une jolie coiffe en paille garnie de fleurs d’hibiscus.
Les hommes se divisent en deux groupes. Le plus important est celui constitué par les « cojoes », les hommes de maïs qui osent offenser le dieu Pochó avec leurs plaisanteries, leurs danses et leurs jeux de bâton. Ils sont méconnaissables derrière leur masque de bois peint surmonté d’un chapeau de feuilles et de fleurs de bougainvillées.
Des jambières en feuilles de bananiers, une cape de drap blanc jetée sur les épaules et une jupe de feuillage de châtaignier maintenu avec une corde, tel est leur accoutrement. Ils brandissent tous un bâton creux dans lequel ils ont glissé des graines séchées qui produisent un son lancinant quand ils l’agitent au rythme de la danse.
Le second groupe est celui des tigres dont le buste dénudé et les bras sont recouverts de boue séchée. Ils ont jeté sur leur tête et leurs épaules une peau de tigre ou à défaut de jaguar.
Durant des heures, tous ces personnages traversent la ville en dansant en cercles concentriques et en tournant sur eux-mêmes au rythme d’instruments à vent et de percussion.
La nuit du Mardi Gras, ils s’installent autour d’une maison où serait alité le dieu Pochó, gravement malade.
Durant toute la nuit, bien arrosée de café et de liqueurs, le tambour va accompagner la veillée et ce n’est qu’à l’aube qu’il va ralentir la cadence jusqu’à se taire, annonçant ainsi à tous la mort du dieu malin. Tout le monde se quitte alors en pleurant mais heureux et bien décidé à remettre cela l’année suivante.