La grande Allemagne n’a jamais eu à faire face à un tel fiasco. Planifié dans l’euphorie de la réunification, Berlin Brandenburg Airport Willy Brandt, ou BER, restera dans l’histoire du transport aérien comme un grand rêve qui a mal tourné, résume le quotidien fribourgeois La Liberté.
«Au départ, on voulait faire de Berlin la plaque tournante du trafic aérien d’Europe centrale», commente Elmar Giemulla, expert en transport aérien à l’Université technique de Berlin. «L’administration fonctionnait encore avec la mentalité de la guerre froide lorsque les subventions coulaient à flots. On dépensait sans compter.»
«Cette fois, nous sommes prêts», assure Engelbert Lütke-Daldrup, énième patron de la plate-forme construite au sud-est de la capitale, à côté de l’ancien aéroport de Schönefeld. BER pourrait donc ouvrir ce samedi, pratiquement sans avion, poursuit La Liberté.
Près de 200’000 défauts
Le maire de l’époque, Klaus Wowereit, imaginait un grand aéroport international comme Paris ou Londres. Il avait insisté pour que des passerelles spéciales soient prévues pour d’éventuels Airbus A380, alors que Berlin n’avait pas de liaisons intercontinentales à part Oulan-Bator, Téhéran, Damas et Colombo.
Après avoir abandonné l’idée d’une privatisation, les pouvoirs publics avaient repris le projet en main au début des années 2000. En quelques années, le chantier devient un capharnaüm où personne ne sait qui fait quoi.
En 2012, plus de 700 bureaux d’ingénieurs travaillent simultanément sur le chantier et des centaines de PME y sont actives sans coordination! «Les entreprises travaillaient quand elles le voulaient. Elles envoyaient leurs factures et étaient payées rubis sur l’ongle», poursuit Elmar Giemulla.
Parmi les multiples défauts de conception: des escaliers roulants livrés à temps mais trop courts; des câbles traînant par terre sans que personne ne sache dans quelles gaines les enfiler; des systèmes de détection feu déficients, etc.
Fin abrupte en 2012
En mai 2012, trois semaines avant l’inauguration, le maire annonce brutalement le report de l’ouverture. Toutes les compagnies aériennes avaient déjà planifié leur déménagement de Berlin Tegel à BER. Le chantier est à l’arrêt et les techniciens s’attelleront à corriger quelque 200’000 défauts.
A chaque fois qu’ils en découvraient un, un autre survenait. Des voix s’élevaient alors pour demander une destruction complète. Parmi elles, celle de Thorsten Dirks, responsable d’Eurowings. BER était devenu un puits sans fond, son coût passant de 2,7 à 6 milliards d’euros.
Si l’aéroport ouvre le 31 octobre, il risque fort de demeurer très silencieux. Air Berlin, qui voulait en faire son hub, a fait faillite il y a trois ans. La crise a entraîné l’effondrement du trafic aérien et Easyjet a réduit la voilure. Mais le patron de BER table encore sur quelque 30’000 passagers par jour alors que le trafic à Berlin se monte en temps normal à 120’000 passagers.
Mais BER ne sera pas la grande plate-forme rêvée il y a 30 ans, ses capacités correspondant à celles des infrastructures existantes. Plus de 80% des passagers à Berlin transitent encore par Francfort ou Munich pour une destination intercontinentale. «BER restera le terminus qu’il a toujours été dans le réseau européen», conclut Elmar Giemulla.
Premier vol de Lufthansa demain
C’est bien entendu Lufthansa qui ouvrira les feux en assurant demain le premier vol sur BER: le vol LH 2020 en provenance de Munich et assuré par un Airbus A320 se posera le 31 octobre sur l’aéroport berlinois à 14 heures. Ce vol spécial marquera l’inauguration de BER et emmènera à Berlin Carsten Spohr, président de la direction de Lufthansa, et une quarantaine d’invités.
(DS)