Le monde est frappé par une pandémie meurtrière liée au COVID-19 qui a mis à l’arrêt des pans entiers de l’économie mondiale, le secteur du tourisme n’y échappant pas. Ce « mal » a bousculé bon nombre de certitudes et ainsi exposé les vulnérabilités de nos sociétés modernes, en remettant en cause leurs modes de fonctionnement.
Des images troublantes montrent des villes, régions, pays entiers en « lockdown », des structures sanitaires complètement dépassées et des gouvernements désespérément à la recherche de tests et de masques.
Les clichés d’aéroports vides, d’avions cloués au sol, d’hôtels contraints de fermés tout comme les lieux de culture et d’instruction, annoncent le drame qui se profile pour la première industrie mondiale. Il sera difficile de se remettre d’une telle crise. Sans l’aide et le soutien des États, le tourisme connaitra un effondrement qui entrainera, par un effet multiplicateur, des catastrophes économiques et sociales sans pareil dans son histoire contemporaine.
Pour les professionnels du tourisme que nous sommes, il semble évident que désormais, la consommation du produit touristique ne sera plus comme avant. L’heure est donc au questionnement.
Quels changements seront induits par cette crise sanitaire ? À quels niveaux doivent-ils être opérés ? Quels rôles occuperont les opérateurs touristiques, les États et les organisations internationales dans le tourisme de demain ? Au travers de ce commentaire, nous considérons, de l’œil du professionnel, les enjeux et opportunités engendrés par la crise sanitaire liée au COVID-19.
Revisiter la Déclaration de Manille
La Déclaration de Manille rédigée en 1980 lors de la Conférence Mondiale pour le Tourisme a eue pour objectif de « clarifier la nature du tourisme » pour les différents acteurs y occupant un rôle dans un monde en rapide évolution. Les principes et recommandations rédigés par les 107 délégations d’États et sous l’œil de 91 délégations observatrices indiquent le souhait d’inscrire le tourisme dans une volonté de développement non seulement économique mais aussi social et culturel (Delisle & Jolin, 2007, p. 4)
Ainsi, dans la partie A de la déclaration, un appel aux États pour faire du tourisme un secteur contributoire au développement humain est formulé : « Le tourisme mondial est à même de contribuer à l’instauration d’un ordre économique international nouveau qui facilitera la suppression de l’écart économique croissant entre pays développés et pays en développement et assurera l’accélération à un rythme soutenu du développement et du progrès dans le domaine économique et social, en particulier dans le pays en développement » (World Tourism Organization (UNWTO), 1980, p. 14).
La Déclaration insiste aussi sur un principe « d’équité, d’égalité et de souveraineté », indiquant que « le tourisme ne peut prendre son essor que s’il est fondé sur ces bases, « que son but ultime est l’amélioration de la qualité de vie et la réalisation des conditions de vie meilleures pour tous les peuples, conforme en cela aux exigences de la dignité humaine » (ibid.)
Ces recommandations indiquent qu’une orientation du secteur vers un tourisme équitable est impérativement souhaitée. Pourtant, depuis cette déclaration, les effets négatifs liés à une mauvaise maîtrise des facteurs sociaux, culturels et économiques évoqués dans la Déclaration, l’exposent à sa fragilité.
La préservation des ressources touristiques est cependant fondamentale car « elles appartiennent au patrimoine de l’humanité. Les communautés nationales et la communauté internationale toute entière doivent déployer les efforts nécessaires à leur préservation » (World Tourism Organization (UNWTO), 1980, p. 15). C’est donc un appel pour un tourisme plus écologique et responsable à même d’éviter la surexploitation des ressources, ou ce que l’on appelle « surtourisme » (Doumayrou, 2018)https://blogs.mediapart.fr/vincent-doumayrou/blog/120118/le-surtourisme-et-ses-causes. La nature nous le rappelle avec force au travers du changement climatique.
L’inobservation de ces recommandations a fait émerger les phénomènes de la « peur » du tourisme (tourismophobie) qui est étroitement lié au « surtourisme », une réaction des populations locales à l’afflux massif des touristes au point où cette population perd ses repères dans son propre environnement qu’elle ne reconnait plus. Revisiter la Déclaration de Manille peut apporter des éléments théoriques pour l’avenir du tourisme, à condition d’élaborer simultanément des stratégies d’implémentation concrètes pour les refléter.
Deux axes temporels pour se réinventer
« Un tourisme qui tient pleinement compte de ses impacts économiques, sociaux et environnementaux actuels et futurs, en répondant aux besoins des visiteurs, des professionnels, de l’environnement et des communautés d’accueil. » (World Tourism Organization (UNWTO), 2013, p. 10)
Nous venons de voir quelques idées sur lesquels devrait s’articuler le tourisme mondial afin qu’il puisse répondre aux aspirations des peuples comme préconisé dans la Déclaration de Manille. Pour les professionnels du tourisme s’inscrivant dans une vision équitable, une pratique responsable et donc durable, il est indispensable de promouvoir la coopération entre États, régions, destinations plutôt que la compétition. Par ailleurs, en temps de crise comme celle que nous traversons actuellement, les métiers liés à la profession du tourisme doivent s’envisager temporellement sur les court et moyen-long termes.
Meziane
Suite et fin demain
Références
De Bové, E., Van Nuffel, N., & Charlier, S. (2020, May 15). COVID-19. Pour un vaccin disponible rapidement et pour tou·te·s, y compris dans les pays pauvres. CNCD-11.11.11. https://www.cncd.be/appel-COVID-19-tour-un-vaccin-disponible-pays-pauvres
Delisle, M.-A., & Jolin, L. (2007). Un Autre Tourisme Est-Il Possible?: Éthique, Acteurs, Concepts, Contraintes, Bonnes Pratiques, Ressources. PUQ.
Dodds, R. (2015, June 2). La réelle volonté de voyager de façon responsable. Réseau de veille en tourisme. https://veilletourisme.ca/2015/06/02/la-reelle-volonte-de-voyager-de-facon-responsable/
Doumayrou, V. (2018, January 12). Le surtourisme et ses causes. Club de Mediapart. https://blogs.mediapart.fr/vincent-doumayrou/blog/120118/le-surtourisme-et-ses-causes
Giubilato, G. (1983). Economie touristique (Delta & Spes).
Glusac, E., Mzezewa, T., & Firshein, S. (2020, May 6). The Future of Travel. The New York Times. https://www.nytimes.com/interactive/2020/05/06/travel/coronavirus-travel-questions.html
Kitenge, S. Y. (2020, April 15). Mondialisation et COVID-19: Quel est l’impact sur l’économie africaine? | AfriqueRenouveau. https://www.un.org/africarenewal/fr/derni%C3%A8re-heure/mondialisation-et-covid-19-quel-est-limpact-sur-l%C3%A9conomie-africaine
L’Obs. (2020, April 20). Le « R0 », ou « taux de reproduction de base » du coronavirus est-il plus élevé que celui des autres maladies ? L’Obs. https://www.nouvelobs.com/coronavirus-de-wuhan/20200420.OBS27781/le-r0-ou-taux-de-reproduction-de-base-du-coronavirus-est-il-plus-eleve-que-celui-des-autres-maladies.html
World Tourism Organization (UNWTO) (Ed.). (1980). Manila Declaration on World Tourism | Déclaration de Manille sur le tourisme mondial | Declaración de Manila sobre el turismo mundial. UNWTO Declarations | Déclarations de l’OMT | Declaraciones de La OMT, 1(1), 1–34. https://doi.org/10.18111/unwtodeclarations.1980.01.01
World Tourism Organization (UNWTO) (Ed.). (2013). Un Tourisme Durable pour le Développement Guide – Renforcement des capacités pour un tourisme durable pour le développement dans les pays en voie de développement. World Tourism Organization (UNWTO). https://doi.org/10.18111/9789284415502
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