Le transport aérien était sûr de lui-même avec sa croissance moyenne de 5 % par an, il doublait en volume tous les 12 ans pendant que le nombre d’accidents était en diminution constante sous l’effet des politiques très volontaristes de l’OACI.
Pendant le même temps il s’est ouvert à toutes les couches sociales en diminuant ses tarifs de manière constante. Bref il allait allègrement vers les 8 milliards de passagers transportés et vers les 1 600 milliards de dollars de chiffre d’affaires, le tout avec un résultat net en très forte progression au cours des 10 dernières années.
Mais ce temps est révolu. Le Codiv-19 est passé par là. 80 % des appareils ont été mis au sol car la clientèle a été priée de rester chez elle. Autant dire qu’il faudra repartir de zéro et tout reconstruire. Reste à savoir si ce renouveau, certes inéluctable, se fera sur les bases anciennes ou sur des concepts innovants.
En clair la grande question consiste à savoir si la guerre tarifaire et la course aux prix bas va continuer ou est-ce que l’on va revenir à un transport aérien élitiste, comme celui que l’on a connu avant la dérégulation, c’est-à-dire avant les années 1980.
En première analyse, on peut imaginer que, pour récupérer leur clientèle et ramasser un maximum de cash, les transporteurs vont assaillir le marché de promotions plus alléchantes les unes que les autres. La crainte majeure des compagnies mais également de tous les autres acteurs du transport aérien : aéroports, constructeurs, motoristes, agents de handling et même les agents de voyages, est de constater une désaffection du public envers ce mode de transport.
Beaucoup d’analystes prédisent même un fort ralentissement des voyages d’affaires remplacés par des Visio conférences le tout sur la forte incitation des entreprises soucieuses de couper drastiquement dans leurs coûts.
D’autres pointent également la peur de la contamination dans des espaces confinés comme les aéroports ou les cabines des avions. Donc le premier levier que les transporteurs auront tendance a manier c’est le prix. Il ne serait donc pas surprenant de voir fleurir des tarifs très compétitifs dès la
remise en service des appareils.
Seulement ce n’est pas si simple. D’abord nombre de transporteurs ne remettront pas en service la totalité de leur flotte. Ils laisseront au sol les appareils les plus anciens, lesquels sont les plus coûteux à opérer.
Il faut également prendre en compte la position des Etats. Ces derniers vont soutenir massivement leurs principales compagnies aériennes, mais ils vont alors exiger des contreparties.
Celles-ci seront sans doute de deux ordres. D’abord assurer la sécurité sanitaire des passagers et pour cela, les compagnies seront peut-être tenues de neutraliser un certain nombre de sièges dans leurs appareils, ainsi finie la très haute densité.
Et puis les Etats seront alors soumis à la pression des écologistes qui ne vont surtout pas manquer l’occasion de freiner l’expansion du transport aérien. Il n’est d’ailleurs pas impossible que pour limiter le nombre de mouvements, l’allocation des slots sur les grandes plateformes soit revue sérieusement à la baisse.
Alors pour s’en sortir, les compagnies n’auront pas d’autre choix que d’arrêter la spirale infernale à la baisse des tarifs et de revenir à un « yield management » beaucoup plus simplifié. Les tarifs d’appel qui ne couvrent pas les prix de revient devront être supprimés.
Chaque pays dispose d’une législation sur la vente à perte et celle-ci doit être facile à prouver à partir du moment où une étude sérieuse des prix de revient est mise à la disposition des acteurs.
IATA pourrait le faire, l’organisme dispose des données et des capacités d’analyse, mais il est peu probable qu’il se lance dans cette direction par peur des réactions de certains gros transporteurs.
Mais le sujet peut largement être traité par l’un des grands cabinets internationaux : Le Boston Consulting Group, EY, ou Roland Berger par exemple. A partir du moment où les banques de données seront mises sur le marché, nul doute que les Tribunaux seront ravis de sanctionner les délinquants.
Et puis il y a une autre voie, plus incitative celle-là. Elle consiste à s’appuyer sur le réseau des agents de voyages en retrouvant le bon sens, c’est-à-dire le commissionnement significatif des tarifs les plus rémunérateurs pour les compagnies. Tout le monde y gagnera et naturellement les tarifs remonteront.
Le transport aérien futur en a fini pour un bon bout de temps avec le transport de masse. Il devra revenir aux fondamentaux : une rentabilité raisonnable et un niveau de produit sans cesse amélioré.
Et personne ne s’en portera plus mal.
Jean-Louis Baroux