L’Inde interpelle, elle fascine d’emblée et pourtant elle effraie. Démographie galopante, gestion chaotique des détritus, pauvreté omniprésente, anarchie du trafic, droit des femmes, etc… Il existe un compromis pour ceux qui hésitent à se jeter dans l’inconnu.
Une croisière ferroviaire durant une semaine, dans un train qui a tout d’un palais sur roues qui emmène ses passagers de ville en ville, avec à chaque étape une excursion vers des sites divers selon l’itinéraire choisi. Rien de tel pour se laisser emporter par la magie de ce pays tout en contrastes mais aussi pour apprendre à appréhender cette culture si éloignée de la nôtre !
Jadis les Maharajas se déplaçaient volontiers en train privé d’un palais à l’autre au cœur de leurs états sillonnés par un des réseaux les plus étendus du monde. Dans les années 1980, les trains de luxe reprennent du service, au Rajasthan d’abord pour transporter des touristes. Le succès de cette formule a inspiré le Maharashtra Tourism Development qui cherchait à offrir une attraction semblable en Inde du Sud.
C’est ainsi que le Deccan Odyssey a été imaginé en 2001 et inauguré en 2003. Ce train de luxe bleu, encore appelé the Blue Limousine on Rollings Wheels, a été conçu pour se concentrer sur le plateau du Deccan à l’Est de Mumbai, loin des attractions emblématiques classiques, afin de promouvoir des destinations insolites riches en histoire et en patrimoine culturel. Aujourd’hui il propose 6 itinéraires différents dont certains n’hésitent pas à sortir des frontières de l’Etat du Maharashtra.
Jour 1 : Mumbai, gare Victoria
Un quai uniquement destiné à accueillir les passagers du Deccan Odyssey s’est converti en salle de spectacle avec danses colorées autour des passagers qui arborent un collier de fleurs de jasmin et un point vermillon sur le front à la mode indienne, signe de bienvenue. Quand le train bleu entre enfin en gare en étirant ses 21 wagons capables d’accueillir quelque 80 passagers, c’est l’émerveillement et chacun cherche à repérer le sien.
Le temps que le tapis rouge soit installé devant chaque porte, on peut enfin se glisser dans ce qui deviendra notre nouveau home pendant une semaine.
Chaque wagon compte 4 cabines avec une décoration propre qui évoque différentes époques royales du Maharashtra régies jadis par diverses dynasties. Une salle d’eau privée complète l’espace qui s’avère très confortable avec une grande fenêtre ouverte sur l’extérieur.
Le majordome de wagon nous invite à découvrir toutes les astuces de rangement et de climatisation et c’est avec un plaisir enfantin que l’on vide ses valises. Le départ est donné et très vite la nuit qui tombe tôt dans les tropiques masque le paysage.
C’est l’heure de partir à la découverte des espaces communs : un bar, un salon, deux restaurants et un spa, tous animés par des serveurs stylés qui assurent un service impeccable sans oublier la haute qualité gastronomique de nos tables. Pas étonnant, c’est le groupe hôtelier Taj qui veille au grain !
Jour 2 : Nashik
Au lendemain d’une nuit bercée par les mouvements du train, on se réveille à Nashik, à quelque 180 km au nord de Mumbai. Une ville inconnue pour nous et pourtant très fréquentée par les autochtones car c’est ici que Rama, un roi mythique de l’Inde antique, aurait vécu durant 14 ans. Une légende qui en fait une des 4 villes de pèlerinage dans ce pays, la seule au centre, les 3 autres étant dans le nord.
Une ville connue aussi pour être une place importante du commerce indien avec les contrées étrangères. Ptolémée en parle déjà au 2ème siècle avant notre ère ! Aujourd’hui, les temples nous paraissent peu entretenus car les murs de basalte sont recouverts de mousse inévitable au lendemain de la mousson qui inonde la ville durant trois mois.
Mais le soleil tropical qui sévit le reste de l’année assèche cette mousse qui noircit alors les murs. Personne n’imagine les poncer année après année et les sites si peu attrayants soient-ils de l’extérieur n’en sont pas moins bondés de l’intérieur.
La même foule occupe les ghâts, à savoir les marches qui permettent de descendre dans le bassin sacré sur la rivière Godavari, la plus longue de l’Inde, là où Rama et son épouse Sîtâ se sont baignés jadis, là où une partie des cendres de Nehru et de Indira Gandhi ont été déversées.
Nombreux sont les hommes qui viennent avec leurs fils se plonger dans le bassin pour fêter ici en famille la fin d’un deuil. Ils se sont rasés la tête pour l’occasion et ils font leurs ablutions en abandonnant des offrandes, souvent des coupelles garnies d’œillets d’Inde ou des pièces que plus loin des gamins tâchent de récupérer en nageant sous l’eau… Pendant ce temps les femmes qui ont trempé leurs mains dans la source sacrée attendent en bavardant sur les marches au pied des temples.
De retour au train, magie de se laisser emporter en rêvassant devant un paysage agricole qui défile lentement tel un patchwork de petits lopins de terre aux cultures plus variées les unes que les autres : céréales, légumes, vergers, œillets d’Inde orangés dont les couleurs accrochent la lumière et même des vignes qui produisent du Sula, un chenin blanc bien agréable à l’heure de l’apéritif.
Jours 3 et 4 : deux sites Unesco
Le dieu Ganesh soutenu par de jeunes et beaux danseurs nous accueillent en gare d’Aurangabad, une ville importante de garnison militaire qui fait vivre la population. Le quai de la gare se prolonge pourtant par un bidonville de tôles et de cartons où à cette heure matinale, les hommes se brossent paisiblement les dents pendant que les femmes s’activent autour des braseros en observant notre train quelque peu incongru dans leur décor.
Des cochons dodus se vautrent dans les déchets de papier et plastiques qu’ils ne parviennent pas à éliminer. Les grottes d’Ellora à une demi-heure à peine de la ville nous permettent de découvrir une vaste plaine hérissée par une ancienne forteresse et plus loin un ensemble d’une centaine de grottes excavées dont 34 sont ouvertes au public, la plupart bouddhistes et d’autres hindoues.
Elles s’étirent sur ce qui fut du 7ème au 10ème siècle la route des caravanes où elles servaient de chapelles, de temples et de viharas, à savoir des monastères. La grotte n°10, la seule à abriter un stupa, est particulièrement raffinée avec son magnifique plafond d’arches qui en font une nef haute avec une forme absidiale qui renvoie l’écho de la voix.
A l’intérieur trône une statue de Bouddha assis sous un dais surmonté d’une ombrelle, le tout sculpté dans la pierre, tandis que la galerie supérieure et son balcon servent à recevoir les dignitaires de marque mais aussi à ouvrir la grotte vers l’extérieur afin d’amener la lumière sur Bouddha.
Le plus beau monument est sans aucun doute le temple de Kailash (n°16), la plus grande grotte au monde qui soit excavée pour construire un site d’un seul tenant qui a l’allure d’un chariot avec son timon et son joug. Une merveille d’ingénierie qu‘il faut découvrir du haut de la falaise. Il fallut évacuer quelque 200.000 tonnes de roche creusée au marteau et au burin avant de donner sa forme au temple et d’ajouter sa décoration sculpturale qui tient de la dentelle de pierre.
Le lendemain, nous descendons à Pochora, la gare la plus proche du site d’Ajanta à 1h30 de bus. Les grottes sont ici plus anciennes encore, creusées dans la paroi abrupte d’une gorge en forme de fer à cheval, bordant une rivière en contrebas qui au fil des siècles et des crues a inondé les lieux abandonnant des tonnes d’argile qui en ont peu à peu occulté les entrées.
C’est en avril 1819 au cours d’une partie de chasse qu’un officier britannique a découvert une étrange cavité qui s’est avérée être la porte d’entrée de la plus ancienne grotte, 2ème siècle avant notre ère. Il s’agit d’une chaitya, un sanctuaire renfermant un stupa, avec un plan en croix comme une église. Aux voûtes des déambulatoires, on découvre de nombreuses alvéoles avec des figures de Bouddha.
Le plafond en pierre est nervuré tout comme à Ellora et soutenu par une quarantaine de colonnes peintes. Ce sont ces fresques à la détrempe qui donnent à ces grottes une valeur patrimoniale inestimable. Leur plus grand intérêt est dans les scènes de la vie courante qui y sont dépeintes, les musiciens qui jouent d’un instrument d’époque, une princesse se maquillant ou encore un couple amoureux consommant du vin.
(A suivre demain…)
Infos pratiques
Le Deccan qui a donné son nom au train bleu est un plateau triangulaire de granit et de basalte qui couvre l’essentiel de l’Inde péninsulaire.
Drainé par de nombreux cours d’eaux, il a tout d’un vaste jardin luxuriant qui fait vivre une population particulièrement dense même dans l’arrière-pays.
Mumbai, capitale du Maharashtra, est le point de départ et d’arrivée de cette croisière ferroviaire, une invitation à y consacrer au moins deux jours de visite en fin de parcours, après avoir appris à appréhender les coutumes de ce pays grâce aux nombreuses anecdotes partagées par les excellents guides qui accompagnent la croisière et vous aident à décoder leur culture.
Le plus grand intérêt de cette formule de voyage est la rapidité avec laquelle le train circule d’une étape à l’autre et même s’il doit parfois laisser passer des trains de ligne, il respecte toujours son programme. Loin des klaxons et des bruits de moteur qui pétaradent sur les routes, le train détend, permet les échanges entre passagers et n’oblige pas à boucler les valises pour changer d’hôtels. Un must. www.deccanodyssey.com Ce train a gagné le titre de meilleur train de luxe en Asie aux World Travel Awards 2017.
Quand y aller : de septembre à avril, en dehors de la mousson
Vendu en Belgique par www.crewagency.be (Catherine Robert) et en Inde par l’agence www.coxandkings.com.