Nous nous souvenons tous de ce que nous faisions le 11 septembre 2001. Ce jour là, celui d’un attentat majeur, la planète entière a communié dans le premier élan médiatique du 21ème siècle. Certes, avant le 11 septembre, il y a eu des attentats, des détournements d’avions, des catastrophes naturelles, mais jamais l’instantanéité n’avait été à ce point partagée que le 11 septembre.
Les télés du monde ont embrayé en quelques minutes sur ce qui se passait à New-York. Au premier avion, a succédé le second, la propagation des deux incendies et finalement l’effondrement des deux tours offrant une vision quasi paroxystique d’une scène de guerre au cœur de la capitale du monde, et relayée par les caméras braquées en continu sur le World Trade Center.
Dans les heures qui ont suivi, des millions de téléspectateurs ont contemplé le nuage de poussière qui, refusant de retomber prolongeait à n’en plus finir une dramatisation médiatique jamais atteinte jusque là.
Depuis cette date, l’homo mediaticus s’est manifestement habitué à ces grandes messes télévisuelles qui le cueillent au saut du lit, au retour du dîner, voire, c’est encore plus passionnant, à l’heure de l’émission du soir. Le scénario parfait pour combler l’appétit voyeuriste d’une conscience collective nourrie au biberon des images du 11 septembre. Avant cette date, ni Tchernobyl (tenue secrète), ni la guerre au Koweït, ni aucune autre catastrophe naturelle n’avaient pu instantanément mobiliser la planète entière, sauf peut-être l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy.
Depuis, il y a eu le tsunami, Fukushima, bien entendu Charlie Hebdo et sa chasse à l’homme, le Bataclan un soir de match de foot, les attentats de Bruxelles, les attaques de Barcelone…. A chaque fois, le quotidien est brutalement bousculé et l’adrénaline médiatique se rue dans les artères du citoyen lambda. Caméras, envoyés spéciaux, experts, infographistes sont rappelés manu militari au sein de rédactions promptes à démarrer au quart de tour au nom du sacro-saint devoir d’informer.
Ce lundi 15 avril 2019 n’a pas fait exception à la règle
Nous étions nombreux à rentrer du boulot et à suivre les traditionnels JT du jour ; on ne saurait même plus dire par quoi ils ont commencé, avant que les premières et lacunaires infos ne nous parviennent : Notre-Dame de Paris est en feu ! Un incendie majeur en plein Paris et qui débute à 18h50. Le scénario parfait pour alimenter toute une soirée. Quelques flammèches, quelques volutes de fumée et l’embrasement sera bientôt total, au propre comme au figuré.
Télés, radios, et journalistes d’un jour munis du couteau suisse du 21ème siècle, l’inévitable smartphone, se muent en reporter d’une énième grand-messe médiatique dont ils vont être les acteurs pour une passionnante soirée télévisuelle. Exit Top Chef, exit la série en vue, les médias français n’annoncent même pas bouleverser leur programme.
Ils veulent couvrir l’événement, montrer, questionner… être les premiers à faire la différence, qui avec un témoin, qui avec un expert… La mise à distance ? On s’en f…. On verra plus tard.
En quelques minutes, la terre entière afflue et se scotche aux écrans télé, un verre à la main…. C’est si bon de voir son quotidien bousculé par l’imprévu, l’horreur, les flammes, le courage des pompiers et pour couronner le tout, la dramatisation présidentielle du report de l’allocution d’Emmanuel Macron.
Il faut l’admettre, cyniquement, tous les ingrédients étaient réunis pour une dramatisation médiatique hors-normes, carburant des grands jours de la vie de rédactions qui n’aiment rien moins que de voir l’imprévu s’infiltrer dans un quotidien banalisé.
Ce propos est-il exagéré ? Sans doute un peu
Mais avant le 11 septembre, les communions médiatiques n’avaient pas cette dimension catastrophique et horrible. On communiait, pour remonter loin, au premier pas de l’homme sur la lune, à la Coupe du Monde, les Jeux olympiques, un couronnement royal, des funérailles en grande pompe… tous ces événements, à l’exception peut-être de l’assassinat de Kennedy répondaient à des codes prévisibles et formatés, programmés dans le temps.
Pas plus tard que cet été, le parcours des Diables rouges avait une dimension prévisible. Il s’est articulé autour d’un crescendo qui a permis à tous les supporters de remplir leur frigo en temps et en heure, sans être cueillis à froid. Avec la catastrophe, l’attentat … on entre dans une autre dimension.
Celle de la stupéfaction, de l’instantanéité, de l’ébahissement collectif qui alimente chaque fois un peu plus notre conscience – et notre inconscience – collectives, jusqu’à attendre la prochaine grande soirée. Pour se planter devant la télé, smartphone à la main et devenir acteur- voyeur de ce qui reste la vie du monde.
Pierre Proneuve