On a envie de dire « enfin » ! ADP le gestionnaire de l’aéroport de Paris Charles de Gaulle a décidé la construction d’un nouveau terminal appelé T4. Le projet est gigantesque. Il s’agit ni plus ni moins que d’ajouter une capacité de 40 millions de passagers aux 80 millions qu’est capable de supporter l’installation actuelle. La première pierre sera posée en 2022 et la totalité de la construction sera terminée entre 2033 et 2037. Voilà pour les faits.
D’où viennent alors les nombreuses interrogations voire protestations que l’on voit surgir ici ou là ?
Premier constat : finalement l’aéroport de CDG est prévu pour traiter quelque 150 millions de passagers à terme car il serait bien surprenant que l’on n’arrive pas à augmenter encore les possibilités des terminaux existants.
Je me rappelle encore les déclarations péremptoires de Jean Claude Gayssot, alors Ministre (communiste – ndlr) des Transports, qui jurait aux populations riveraines que jamais, au grand jamais, Roissy CDG ne traiterait plus de 56 millions de passagers, le tout pour faire passer la construction de la piste nord.
Comment alors va-t-on faire passer la pilule aux riverains qui devront bien accepter un volume près de 3 fois supérieur au plafond que leur avait promis le Gouvernement ? La réponse tient en partie dans la gestion du trafic qui est basé sur des quotas de bruit.
En clair chaque année le niveau global du bruit ne doit pas dépasser celui de l’année précédente. Cela est possible par l’arrivée de nouveaux appareils, beaucoup plus performants et un emport moyen en constante augmentation. Pourquoi alors ne pas appliquer à Orly ce qui a si bien réussi aux populations riveraines de Roissy ?
Deuxième constat : la première pierre va être posée en 2022, c’est-à-dire dans 4 ans, et l’ouverture de la première tranche est prévue pour 2024, soit dans 6 ans. Comment alors va-t-on passer le trafic attendu si, comme on peut le penser, celui-ci augmente de quelque 4 % en moyenne par an ?
Si je compte bien, alors que nous avons comptabilisé 69.472.157 passagers en 2017, cela nous donne un peu plus de 91 millions pour 2024 et 141 millions en 2035 à la date de l’ouverture complète du nouvel ensemble.
Si la capacité maximum est estimée par les dirigeants d’ADP à 80 millions de passagers, comment va-t-on traiter plus de 90 millions dans la configuration actuelle et voire les 141 millions attendus en 2035 alors que, même en rajoutant 40 millions de capacité supplémentaire, les installations ne pourront traiter que 120 millions au mieux.
Où vont passer les 20 millions de passagers hors capacité attendus ? Sauf à freiner le trafic il faudra bien se résoudre alors à débloquer Orly pour accepter les flux attendus.
Troisième interrogation : le coût du nouveau terminal est estimé entre 7 et 9 milliards d’€, et il est prévu qu’il soit entièrement financé par ADP.
Cela est certes dans les possibilités de la société qui réalise de confortables bénéfices : un résultat net de 571 millions et un EBITDA de 1,567 milliard d’€ pour le seul exercice 2017.
Seulement il est dans le même temps prévu de privatiser ADP dans le courant de 2019.
Petite question : les nouveaux propriétaires prendront-ils à leur compte le projet d’extension, en sachant qu’ils devront le financer, ou se contenteront ils de rester dans la configuration actuelle en engrangeant les bénéfices qui leur serviront à financer leur achat et à rémunérer leur actionnariat ? Devant l’ampleur du projet, il semblerait raisonnable qu’ADP reste dans son organisation capitalistique actuelle.
Si une privatisation doit être envisagée, pourquoi ne pas faire uniquement celle d’Orly, ce qui aurait pour conséquence de créer une concurrence salutaire entre les deux plateformes et de laisser l’État encore maître de Roissy qui constitue tout de même un enjeu stratégique pour notre pays.
Enfin reste l’architecture même du nouveau terminal. Les compagnies ont protesté vigoureusement quant à la conception du Terminal 4.
Elles arguent que, tel qu’il est envisagé, le terminal est pensé pour privilégier les commerces qui rapportent de substantiels revenus et non l’exploitation des compagnies qui se trouvera très pénalisée.
Je n’ai aucune compétence particulière pour décider du bien fondé de ces protestations. Je note que la gestion avec deux caisses séparées : commerces d’un côté et exploitation aéronautique de l’autre, constitue toujours une vraie pomme de discorde entre les acteurs.
Au fond la question est de savoir à qui appartiennent les clients de l’aéroport ? Les transporteurs considèrent que les passagers sont à eux puisque sans compagnie, il n’y aurait pas d’aéroport. Et cela ne manque pas d’une certaine logique.
Mais d’un autre côté, ADP fait remarquer que sans les aéroports, aucune compagnie ne pourrait exister et que pour financer les nécessaires améliorations, il faut bien que quelqu’un paie. Or les compagnies déjà très réticentes pour régler les redevances aéronautiques, le seraient encore plus si elles n’étaient pas minimisées par l’apport des commerces.
Il serait tout de même grand temps que les uns et les autres trouvent un terrain d’entente.
Jean-Louis Baroux