La manifestation nationale de mardi dernier m’a rappelé un bon mot de Philippe Bouvard: « dans le vocabulaire syndicaliste, on ne passe à l’action qu’en cessant toute activité ». Et si j’évoque Bouvard, c’est parce que nombre de nos lecteurs vont prendre quelques jours de repos bien mérités en cette fin d’année.
Ces quelques jours de recul sont d’autant plus importants que l’immédiateté et la proximité sont maintenant la règle, et le temps réel, la nouvelle loi. Et pour cause, le numérique a tout raccourci, tout rapproché et tout interconnecté. « Tant et si bien que le futur se confond aujourd’hui avec le présent, et que l’instant devient une sorte de dictature », comme l’écrivait joliment Denis Jeambar, l’ancien directeur du magazine L’Express.
Justement, beaucoup de nos lecteurs, qu’ils soient patrons, cadres ou indépendants surmenés ne considèrent pas toujours à leur juste valeur les bienfaits des pauses. Et notamment des vacances. S’ils ont des doutes, peur de décrocher, peur de rater je ne sais quelle affaire ou quel dossier, je les invite à lire le livre de Thomas Friedman, l’éditorialiste vedette du New York Times. Dans son livre « Merci d’être en retard », il nous explique pourquoi ces pauses, ces moments de détente sont en réalité des bienfaits du ciel.
Dans son best-seller, Thomas Friedman cite Dov Seidman, PDG de LRN, un cabinet de conseil en leadership auprès des grandes entreprises américaines, qui explique fort bien cette nécessité d’arrêter le temps, ce qui – encore une fois – n’est ni un luxe, ni un divertissement, mais une nécessité. Quelle est en effet la différence entre un ordinateur et un être humain ?
C’est simple: quand on appuie sur le bouton pause d’un ordinateur, il s’éteint. En revanche, si on appuie sur le bouton pause de l’être humain, ce dernier s’allume. Dov Seidman a raison de rappeler que c’est quand il est en mode pause que l’être humain se met à réfléchir, à reconsidérer ses hypothèses, à envisager d’autres solutions. Bref, c’est en mode pause que l’être humain gamberge et trouve des solutions qu’il ne voyait pas lorsqu’il avait le nez sur le guidon.
« L’intrusion du numérique dans nos vies voudrait nous faire croire que la patience et les pauses sont devenues des vertus « par défaut »
Voilà donc pourquoi Thomas Friedman a intitulé son livre « Merci d’être en retard ». À force de petit-déjeuner avec ses interlocuteurs à Washington, il a remarqué que certains d’entre eux arrivaient en retard. Les uns prétextaient que le métro était resté en rade, d’autres que le réveil n’avait pas sonné, d’autres encore que leur fils était malade. Et puis, un beau jour, Thomas Friedman s’est rendu compte qu’il s’en fichait et il leur a même dit: « Mais non, je vous en prie, ne vous excusez pas. Au contraire, merci d’être en retard ! ». Pourquoi dire cela ?
Mais parce que grâce à ces retards, Friedman a pu découvrir un espace-temps précieux, il a eu droit à quelques minutes de liberté pour penser, s’amuser à écoute la conversation du couple de la table voisine ou encore se laisser distraire par le spectacle des allées et venues dans le hall. Mais surtout, Thomas Friedman a pu réussir à relier deux idées qui le tarabustaient depuis longtemps. Et donc, cette pause, il l’a mise à grand profit. Voilà pourquoi il dit systématiquement à ses interlocuteurs en retard de ne pas s’excuser, mais les remercie au contraire de lui avoir donné – involontairement – un peu de temps de réflexion.
L’intrusion du numérique dans nos vies voudrait nous faire croire que la patience et les pauses sont devenues des vertus « par défaut ». Pourtant, les philosophes, de tout temps, savaient que la sagesse provenait de la patience et qu’il ne fallait pas confondre patience et absence de vitesse.
Avec l’aide de nos confrères du prestigieux magazine économique The Economist, et en exclusivité pour la Belgique, nous vous proposons un numéro de prospective unique en son genre. Bref, ce numéro de fin d’année a pour vocation d’être aussi une pause, un espace de réflexion.
Merci pour votre fidélité et n’hésitez pas, vous aussi, à dire plus souvent « Merci d’être en retard » en 2018.