C’est une montagne qui ne dit pas son nom avec ses crêtes hérissées de futaies verts sombres qui saluent un grand ciel bleu, avec la douceur de ses rondeurs tapissées d’un treillis de verdure et creusées de brèches géantes où l’eau qui gorge les terres dévale en cascades chantantes.
La chaîne jurassique se présente comme un drapé en forme d’arc dont les plis modèlent les marches d’un escalier colossal qui grimperait depuis les plaines jusqu’aux cimes qui marquent la frontière avec la Suisse. Chacun contemple ceux du bas jusqu’à la plaine si ce n’est que parfois le pays se dérobe, creusé par un effondrement calcaire qui forme alors un cirque bordé par de hautes falaises millénaires.
Celles-ci veillent sur un paysage de contes d’enfants avec des escarpements envahis par une forêt sauvage, des prairies où paissent quelques vaches rousses et blanches et une route qui ondule d’une fermette à l’autre.
Des vacances au vert au fil de l’eau
La faille la plus spectaculaire du massif jurassien est celle de Baume-les-Messieurs avec des corniches rocheuses qui surplombent des gorges entaillées par des cours d’eau poissonneux.
Le site est d’autant plus exceptionnel qu’une imposante abbaye bénédictine impériale s’y est établie dès le 10ème siècle.
Démantelée après la Révolution française, elle n’a conservé que son église qui enferme un joyau de l’art flamand, un spectaculaire retable polychrome orné de personnages en plein relief.
L’ancien couvent abrite aujourd’hui des habitations privées et même une auberge. Les cours, noyées de quiétude, sont le refuge de chats qui s’alanguissent au soleil, non loin des jardinets soigneusement entretenus par les propriétaires des lieux. Un minuscule hameau a émergé autour de l’abbaye, un habitat rural en pierre calcaire ocre ou grise, qui semble écrasé par la majesté des lieux.
L’eau s’invite partout. Sources, cascades, lacs et rivières s’accordent au nuancier vert des forêts et des champs et composent un tableau riant.
Aux heures chaudes de l’été, les berges herbeuses des lacs, ombragées par les ramures de vieux arbres, offrent un espace apprécié par les familles qui viennent s’y rafraîchir après l’école.
L’eau est si peu profonde qu’elle est tiède et les enfants y jouent sous l’œil attentif de leurs parents. La ceinture blanche des marnes calcaires, le vert tendre des roseaux et le bleu encre de l’eau dessinent une palette dont les teintes tantôt turquoise, tantôt laiteuses évoquent les couleurs de la Polynésie. Au loin les tintements des clarines rappellent pourtant la proximité des pâturages d’alpage.
Le sel de la terre
En se retirant jadis, la mer a laissé un banc de sel de près de quarante mètres d’épaisseur. Lorsque le mouvement tectonique fait émerger les Alpes en créant les plateaux du Jura, les eaux souterraines qui lessivent ce banc vont remonter à la surface sous forme de sources saumâtres.
Les moines, les premiers, ont exploité les salines à Salins-les-Bains en isolant les eaux salées dans des cuves chauffées avec du bois pour obtenir une évaporation artificielle.
Au XIIème siècle, le site est couvert pour le protéger de la pluie et de la neige. La galerie d’extraction n’a guère changé depuis. Les seaux remontés dans les bâtiments d’évaporation étaient déversés dans des poêles où, chauffé à blanc, le sel se cristallisait. Les conditions de travail des sauniers étaient infernales dans la pénombre et l’humidité. Ce travail harassant s’est pourtant poursuivi jusqu’en 1962.
Pour produire une tonne de sel, il en fallait deux de bois qui vint à manquer à Salins-les-Bains. Une idée folle va alors germer : construire un saumoduc pour amener les eaux saumâtres de Salins dans un site boisé proche.
Louis XV désigne Claude-Nicolas Ledoux, un architecte visionnaire, pour édifier à Arc-en-Senans, à l’orée de la forêt de Chaux, son œuvre majeure, un témoignage rare dans l’histoire de l’architecture industrielle, saluée d’ailleurs par l’Unesco tout comme le site de Salins-les-Bains.
Elle égrène des bâtiments majestueux qui se répondent dans une parfaite symétrie et elle recevait l’eau saumâtre par deux saumoducs en bois de 21km. Toutefois cette Saline Royale ne produisit jamais assez de sel pour être rentable d’autant qu’une partie des eaux se perdaient en chemin car les bois des saumoducs étaient rongés par le sel. L’apparition du chemin de fer qui permit le transport rapide du sel marin nettement moins onéreux allait ruiner définitivement le projet abandonné dès 1895.
Pour appréhender l’histoire des vins du Jura rien de tel qu’une étape à Arbois. La visite commence au pied du Château Pécauld, une forteresse du 13ème siècle dont les salles abritent un musée de la Vigne et du Vin du Jura, un parcours initiatique indispensable pour mieux aborder cette ville où d’une maison de dégustation à l’autre, le vin impose sa loi.
Arbois peut se targuer d’être la première AOC de France octroyée en 1936. Sans doute grâce aux travaux de Louis Pasteur, natif de Arbois et propriétaire d’une vigne qu’il arpentait quotidiennement. D’autres AOC suivront au point que la presque totalité de la production du Jura est marquée du sceau de l’authenticité.
Incontournable aussi la découverte du village de Château-Chalon, perché sur un escarpement qui surplombe un pays ondulant de vignes. Les anciennes fortifications abritaient une abbaye de nobles dames qui auraient acclimaté un cep du tokay que des consœurs hongroises leur auraient apporté dans leurs bagages.
Il deviendra le savagnin qui n’est présent que sur le sol jurassique et qui donnera le fameux vin Jaune, l’or du Jura qui s’obtient au terme d’une maturation de six années et trois mois minimum sans aucune intervention extérieure durant ce laps de temps. Le vin de Paille est un autre élixir.
Les plus belles grappes sont laissées durant les 3 mois d’hiver sur un lit de paille dans une pièce aérée avant d’être pressées. Le moût vieillit alors dans des fûts pendant trois ans avant de devenir un inimitable vin liquoreux.
Texte : Christiane Goor Photos : Charles Mahaux
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