Les 5 millions de touristes qui se rendent cet été en Espagne se disent qu’ils vont passer un bon moment avec leur famille et qu’en plus, ils vont aider, par leurs dépenses, un pays qui a fortement souffert de la crise de l’euro. Ça, c’est pour la théorie. La réalité est hélas moins rose…
À Barcelone, et plus généralement dans les régions séparatistes ou nationalistes de l’Espagne, le sentiment anti-touristes se manifeste aujourd’hui ouvertement. Tantôt sous la forme de graffitis du genre « Tourist, Go Home », tantôt en envahissant des restaurants fréquentés par ces mêmes touristes, ou alors en proférant des menaces verbales devant des hôtels, voire en crevant les pneus des bus de voyage.
Dans la capitale catalane, ville la plus visitée d’Europe selon les chiffres de Ryanair, c’est d’ailleurs un petit mouvement nationaliste (Endavant) qui est à l’origine de la plupart de ces manifestations anti-touristes. Et bien entendu, les animateurs de ce mouvement ont compris qu’il fallait que leurs revendications soient connues au-delà de leur ville, raison pour laquelle ils filment eux-mêmes leurs agissements et les mettent en ligne sur les réseaux sociaux, en espérant que l’impact médiatique de leurs actions sera démultiplié.
« En Espagne, attaquer le tourisme revient à se suicider, et pourtant… »
Bien entendu, les autorités politiques locales, le Premier ministre, l’industrie hôtelière et les médias espagnols ont rapidement dénoncé ces agissements. Il faut dire que la santé économique de l’Espagne est encore fragile et que le tourisme est l’un des principaux piliers de l’économie locale. Rien que pour la Catalogne, on parle d’un enjeu de 50 milliards d’euros. Au niveau national, ce sont deux millions d’emplois qui sont générés par le tourisme. Attaquer le tourisme revient donc à se suicider.
Mais alors, comment expliquer ces manifestations anti-touristes, même si elles sont le fait d’acteurs minoritaires ? Il y a plusieurs raisons à cela. En Catalogne, où le mouvement séparatiste est fort, c’est d’abord une manière de reprendre le contrôle de leur région. Non seulement vis-à-vis de Madrid, mais aussi des touristes qui envahissent leurs villes et en transforment la physionomie. Ensuite, il ne faut pas se leurrer, ces mouvements anti-touristes expriment aussi un ras-le-bol généralisé en Espagne, même s’il est plus présent au Pays basque et en Catalogne.
Cet écœurement est d’abord économique: l’arrivée massive de visiteurs à Barcelone, par exemple, rend la vie plus chère pour les habitants de la ville. Un seul exemple: les propriétaires d’appartements ont compris qu’ils gagnaient plus d’argent à louer leurs biens immobiliers à des touristes via des sites d’hébergement comme Airbnb plutôt qu’à des locaux.
Les loyers sont donc poussés à la hausse, les habitants ne peuvent plus se loger en ville et doivent partir plus loin en banlieue. Depuis lors, la maire de la ville essaie d’y remédier tant bien que mal, notamment en menaçant d’amendes les sites d’hébergement comme Airbnb. Mais en attendant, le mal est fait, car même les commerces de proximité ferment pour faire place à des hôtels ou des grandes marques destinées aux touristes.
En plus, ce mouvement anti-touristes a de bonnes chances de prospérer. La raison ? Le tourisme en Espagne, mais aussi en Italie, en Grèce ou en Croatie se développe très fort, car les touristes vont moins en Égypte, en Tunisie ou en Turquie pour des raisons de sécurité. D’où le succès de l’Europe du Sud, succès démultiplié par des compagnies aériennes low cost comme EasyJet ou Ryanair. Le sujet risque donc de devenir un marronnier, comme disent les journalistes, c’est-à-dire qu’il va refleurir chaque année à la même époque, comme les sujets sur le mal de dos ou la rentrée des classes !