L’espace d’une journée, on peut rêver que les deux personnages les plus importants du Tarn se soient rencontrés à Albi!
Albi, samedi 27 mai, 9h, place Vigan… Une trentaine de clients se trouvent à la terrasse du « Pontié », là où tout Albigeois doit se faire voir. Le Pontié est certainement un des lieux les plus emblématiques de la ville. Il existe depuis 1782. Une femme grille une cigarette, une autre lit son journal, une troisième sirote un petit noir.
Fermons les yeux et essayons d’imaginer ce que cette femme voit. A la table voisine deux hommes taillent une bavette. L’un est petit, anormalement petit, l’autre est beau, parle facilement. Fabienne FEO, la conseillère en séjour de l’Office du Tourisme, se pince.
Elle a devant elle les deux hommes les plus importants du Tarn. Elle essaye de tendre l’oreille pour entendre ce que se disent Henri de Toulouse-Lautrec et Jean Jaurès. Elle aimerait savoir ce que ces deux hommes si différents peuvent échanger!
Le jardin National
Fermons les yeux et suivons la conseillère en séjour durant toute cette journée du 27 mai. Une fois son café avalé, elle s’en va en croisant Stéphanie Guiraud Chaumeil, la mairesse. Stupéfaction, là sur un banc du « Jardin National », elle remarque un petit homme entrain de croquer la tête d’un cheval et sur l’autre banc, un homme en train de rédiger un discours.
« L’un et l’autre s’ignorent, mais que pourraient bien se dire le comte de Toulouse-Lautrec et le député socialiste Jean Jaurès? »
Et cependant, la conseillère en séjour imagine le dialogue. Elle sait que le peintre aime les femmes aux formes généreuses et que le tribun socialiste aime les femmes généreuses. Ce dernier vient d’épouser à la mairie, puis à l’église Saint-Salvy, la charmante Louise Bois.
La conseillère en séjour n’ignore pas que l’un et l’autre aiment tout simplement l’humain. Mais le temps rattrape Fabienne. Elle se souvient qu’elle doit faire quelques achats et se rendre aux Halles.
A l’extérieur, les marchandes de fleurs et maraîchères la confortent qu’elle a bien emprunté la machine à remonter le temps. Le décor lui rappelle une carte postale surannée de l’endroit.
Elle ne peut s’empêcher d’écouter le groupe musical « Brics à Brass », animé par Nicole et son trombone, un groupe que pourrait immortaliser les coups de crayon de Toulouse-Lautrec. Au-dessus des marches, Fabienne sourit en voyant Martine Legrand du grand théâtre et Danielle Devynck, la conservatrice du musée poser des questions à Jaurès.
Sainte-Judith
Un peu plus loin, l’incontournable cathédrale, où Fabienne croit entendre Jaurès discourir: « Nous sommes allés à Albi, la ville rouge avec son beau ciel, ses maisons de briques, ses jardins en terrasses et ses beaux ponts, avec sa place centrale bien exposée au soleil […] avec sa cathédrale puissante…».
S’il est évident que Lautrec ait fréquenté cet endroit, il est presque certain que Jaurès aussi. Même si en ce samedi 27 mai, Fabienne les voit râler sur les marchands du temple. Elle devine même Jaurès taquiner Lautrec en lui disant qu’il n’a pas inventé la nudité vu les peintures de la cathédrale.
Et finalement Fabienne sourit en pensant à la statuaire de Sainte-Cécile qui forme un ensemble considérable, peut-être le plus important de la sculpture française de la fin du Moyen-Âge.
Quatre vingt-sept statues à la façade externe du jubé, trente-trois personnages de l’Ancien Testament au pourtour du chœur, quinze statues figurant l’église. A l’intérieur: douze apôtres, la Vierge, Saint Jean-Baptiste et Saint Paul. Septante-deux statues d’anges, Charlemagne et l’Empereur Constantin dominant les deux portes d’entrée de la clôture.
Et parmi ces trente-trois personnages de l’Ancien Testament, trente-et-un hommes pour deux femmes et ce sont ces deux femmes, Judith et Esther, dont on parle le plus.
Judith aurait même pu faire l’objet d’une peinture de Lautrec, elle qui usa de ses charmes pour attirer le tyran de Jérusalem.
Samedi 27 mai, 13h, « La Vermicellerie »… Fabienne déguste la terrine de lapin artificielle qui est composée de tout sauf de lapin. En face d’elle deux hommes boivent du vin tout en négligeant la carafe d’eau où nage un poisson. Ouvrons les yeux et essayons de voir ce que cette femme voit.
Dans sa ville « Albi la Rouge », c’est la Lautrec mania: une petite part est néanmoins réservée à Jaurès. Et pourtant les yeux ouverts nous ont fait voir Stéphanie « la Mairesse », Nicole « la musicienne », Martine « la directrice », Danielle « la conservatrice », comme si cette ville était une ville de femmes! Pas étonnant dès lors qu’on y rêve de croiser à chaque endroit, deux grands hommes.