La superstition fait intimement partie du monde maritime. C’est ce que nous avons encore pu constater ce deux février sur les chantiers Fincantieri à Monfalcone (Trieste). MSC y fait bâtir son second géant des mers sur ce chantier naval : le MSC Seaview.
En 2017, le bateau est toujours mouillé d’eau divine et les ouvriers du chantier, ainsi que le personnel futur à bord, sont bénis. Mais surtout, une étrange cérémonie occupe encore le centre des navires : la cérémonie des pièces.
Marine et superstition
La première crainte des marins est liée au monde animal. Le cormoran annonce une mauvaise pêche. Nos compagnons aux longues oreilles sont particulièrement proscrits. Les lièvres et les lapins sont interdits de citer. Ils mangeraient l’étoupe qui empêche les infiltrations d’eau dans les cales. A contrario, même si les rats sont un fléau, ne pas en avoir à bord est inquiétant. Ces derniers étant les premiers à quitter le navire en cas de malheur.
Au sein des bateaux, les inquiétudes ne sont pas en reste. En Saint-Nazaire comme à Trieste la calle est arrosée d’eau et le curé doit y secouer l’aspergeoir. Le mot « corde » est banni à bord.
Il rappellerait les pendaisons qui punissaient les mutins d’antan. Si les femmes, les avocats et les curés étaient interdits d’entrée, comme tout qui porte une robe, la femme était par contre acceptée sur la proue. Souvent, c’est une figure féminine qui était représentée dans le seul but d’éloigner les mauvais esprits des mers. On dit aussi que la femme dérèglerait les boussoles durant ses règles. Ce dernier aspect n’aurait par contre que très peu été constaté sur les navires de croisière.
Depuis le XVIIème siècle, la légende du Hollandais volant hante les esprits. Le dernier équipage à l’avoir noté sur son carnet de bord, serait celui d’un U-Boot durant la bataille de l’Atlantique.
Les premiers marins consacraient leurs bateaux avec le sang d’une victime pour s’attirer les grâces de leurs divinités. Le champagne a depuis remplacé cette habitude « archaïque ». On dit que la bouteille est sciée pour attirer plus facilement les grâces du ciel. Plus forte serait l’explosion de la bouteille, plus éloignés seraient les démons.
En signe de bonheur, les Anglais plantaient un couteau dans le grand mât. Les exemples que peuvent raconter les hommes de la mer sont légion. Les marins sont convaincus que leur bateau est doté d’une âme.
La cérémonie des pièces, une cérémonie ancestrale
Du temps des voiliers, une des cérémonies de bénédiction consistait à mettre une pièce d’or à la base d’un mât. En 2017, rares sont les navires de croisière qui se déplacent à l’aide du vent.
N’empêche que cette habitude est restée. Ce deux février, deux marraines issues du personnel (la légende veut qu’elles ne soit ni mariées, ni enceintes et qu’elle soient de grande vertu) sont venues déposer deux pièces de monnaie dans un support réalisé à cet effet.
La construction d’un bateau pourrait se comparer à la réalisation d’un lego démoniaque. Des pièces construites en amont, à Gênes, sont ici assemblées en cale sèche au moyen d’une immense grue. Traditionnellement, les pièces d’or sont scellées dans une niche située au centre de l’édifice.
Les deux écus posés, leur habitacle est soudé. Le Curé béni la structure et l’assemblée. La grue déplace alors le bloc dans les airs.
Ce deux février, une musique classique retentissait sous la tente où nous étions conviés. Les centaines de tonnes que compte cette partie de coque sont alors descendus sans bruit dans la cale sèche pour être soudée au reste de l’édifice. La précision était divine. L’âme du bateau nourrit les esprits dans un ballet sublime. S’il existe un « grand architecte », il doit avoir des vues aux bords de l’Adriatique.
Poétique et impressionnante, la construction d’un bateau et ce genre de cérémonie sont des arguments de vente pour tout professionnel. Du moins, ceux qui aiment proposer un produit qui ait une âme. Avec des montants de construction avoisinant les 850 millions d’euros (les prochains approcheront du milliard), nous sommes ici dans une expérience unique en matière de tourisme. Des chantiers pharaoniques qui seraient, d’après nos informations, rentabilisés entre 8 et 20 ans. Rendez-vous dans quelques mois pour sa mise à l’eau !