Il a construit sa propre dahabieh en 2010, le Rois, quelques mois avant la révolution égyptienne de janvier 2011. Son bateau et son business d’organisation de voyages au Moyen-Orient, qui a pignon sur rue à Paris depuis 1994, sont alors mis à quai pour quelques années. Mais il fait partie de ceux qui n’abandonnent pas et, quand il hisse à nouveau les voiles, il opte définitivement pour un tourisme responsable et de qualité sur le Nil – ce qui, aujourd’hui, avec 30 millions de visiteurs dans le pays à l’horizon de 2030, s’avère indispensable.
C’était en 2013, et les premières dahabiehs de luxe se faufilaient entre les gros bateaux proposés par les croisiéristes de masse.
Naviguer à l’ancienne
Ensuite vint la crise du covid. De nouveau immobilisé, le Rois relève ensuite l’ancre sans sacrifier à sa philosophie. On ne baisse pas les prix, comme beaucoup d’autres produits, et on insiste sur le côté expérience – encore une fois dans l’air du temps. Puisqu’il ne peut pas déplacer les sites archéologiques et les temples, il va modifier la façon de s’y rendre. A l’ancienne. Plus lentement, plus près de l’eau dont on entend le clapotis, le long des berges jusqu’à frôler les roseaux, en évoquant les voyages d’antan à travers la déco et le service aristocrate des premiers villégiateurs.
Aujourd’hui, Les Voyages de Pharaon fête ses trente ans et le fondateur s’offre une deuxième embarcation, le Reines. Fier de ses « bébés », Mohamed Salem a tenu à les présenter lui-même et c’est lui, sous l’œil vigilant de son directeur de croisière, qui a mené avec un bonheur non feint cette croisière.
Farcir les pigeonneaux
L’homme est un bon vivant, il aime la bonne chère et se paie une brigade de cuisine, dont un chef-pâtissier, qui n’achète que du local et réalise absolument tout à bord, jusqu’à la moindre petite praline qui accompagne le tea-time. Tous ont fait leurs armes sur des grands bateaux et s’éclatent de pouvoir personnaliser leurs talents pour maximum seize personnes. Mohamed Salem, lui aussi, est passé par là, comme représentant de Nouvelles Frontières pour l’Egypte, avant de lancer sa propre agence.
Son petit plaisir, ici : faire farcir des pigeonneaux par les passagers chapeautés de toques qui s’exclament devant une cuisine si moderne sur un bateau qui célèbre le passé. Ou encore : nous faire deviner les ingrédients des 14 soupes servies tout au long de la semaine – un héritage anglais, assure-t-il.
Fabriquer des souvenirs
Lorsqu’il est à bord, sa femme Rania l’appelle pour savoir si les passagers sont contents. C’est elle qui a assuré la déco de Rois, chinant des détails jusqu’à Venise. Elle signe aujourd’hui l’habillage de Reines, le dernier-né qui entame ses croisières dès octobre et qui nous a accueillis le temps d’une soirée avec pour décor la Vallée des Rois et sa soixantaine de tombeaux découverts à ce jour, dont ceux de Toutankhamon et de Ramsès II.
Avec ses 5m et ses deux cabines supplémentaires, la nouvelle dahabieh Reines donne un petit coup de fraîcheur à la marque avec une déco néo-victorienne aux tons plus clairs dont une salle de bain qui fait penser aux cabines de plage de l’époque. L’élégance, le service et le confort sont identiques à ceux de son aîné qui nous a transportés. Et l’esprit est le même : fabriquer des souvenirs à la hauteur de cet itinéraire pharaonique.
Il y a trente ans, les gros bateaux étaient l’usage sur le Nil. Les quelques dahabiehs traditionnelles étaient sommaires et peu nombreuses. Vous avez lancé une tendance ?
Mohamed Salem : J’ai vendu des croisières pour ces grands bateaux. Ils faisaient beaucoup de bruit, la nourriture était industrielle, les groupes atteignaient jusqu’à 45 personnes pour les visites parfois au pas de course, certaines cabines n’avaient pas de vue extérieure, il y avait trop de monde autour des pataugeoires quand il y en avait. Des gens se plaignaient. Quant aux embarcations traditionnelles, elles étaient plus petites et sans véritable confort, avec un seul étage, pas ou peu de clim et des générateurs bruyants.
J’ai réfléchi à tout ce que je ne voulais pas et à ce que pouvait exiger le voyageur. Un bateau totalement tourné vers l’extérieur, un étage et demi supplémentaire pour des espaces de détente, la clim partout 24h24 pour éviter que le client doive se réfugier dans sa cabine la journée, un jacuzzi pour se rafraichir et un hammam pour se décontracter. Des repas servis dehors pour profiter des paysages car nous naviguons le jour – ce qui nous permet également de jouer sur les horaires en cas de grosse affluence sur les sites. Enfin un vrai diner à table dans une vraie salle à manger, à côté d’un salon-bibliothèque.
Tout cela a un coût…
M.S : Notre gamme tarifaire se situe entre le bateau de luxe et la petite dahabieh. Mais tout est imaginé pour le passager qui est pris en charge dès qu’il met le pied sur le sol égyptien – avions, transferts, hébergements, visites. Et tout est compris, pas de calculs compliqués pour choisir les excursions. C’est vraiment mon moteur : la satisfaction du client, le décharger de tout ce qui est possible en lui offrant un service complet, le voir nous quitter avec des souvenirs plein la tête. Au début de ma carrière, je cherchais surtout à exister, à me faire une place. Avec l’âge, la reconnaissance de la profession et ma règle de réinvestir 90% de mes bénéfices afin d’améliorer les prestations, je peux répondre à tout.
Répondre aux crises, aux nouveaux profils et aux nouvelles tendances ?
M.S : Après trente ans, nous n’avons que des retours positifs, nous enregistrons de nombreux repeaters, les clients sont en confiance, ils savent que nous ne les abandonnons pas. Tout a changé. Les gens réservent de plus en plus tard – avant c’était au moins six mois, aujourd’hui parfois deux mois, et parfois, l’hiver, ils attendent le dernier moment pour choisir la neige ou le soleil. Devant la situation actuelle au Moyen-Orient et le business de plus en plus lié au JT de TF1, nous les rassurons quant aux remboursements éventuels, nous leur expliquons qu’il y a plus de 600km entre Le Caire et le Nil et que nous naviguons à partir de deux clients. Je veux et je peux satisfaire toutes les exigences – qui sont de plus en plus nombreuses, le covid ayant provoqué des envies de voyages plus spéciaux, de programmes sur mesure, organiser des surprises, rassembler un groupe d’amis ou plusieurs générations d’une même famille, vivre des expériences différentes.
Une fois à bord, qu’est-ce qui fait concrètement la différence ?
M.S : Je demande beaucoup à mon équipe : 23 personnes pour 16 passagers, plus un guide d’exception. Ils sont tout spécialisés. Et j’ai pensé les bateaux autrement : un pousseur à l’arrière plutôt qu’un tracteur à l’avant, afin de ne plus déranger les passagers qui peuvent manger dehors à tout moment, qui n’entendent plus le bruit des générateurs et ne sentent plus les effluves de gasoil. Des cabines de 21m2 avec une salle de bain complète. Un pont supplémentaire. Une cuisine 100% locale, pas de surgelés, des produits frais achetés tout au long de la croisière auprès de nos producteurs et sur les marchés. C’est d’autant plus facile que nos marins sont tous de la région, ils connaissent tout le monde. Quand c’est possible, ils vont rendre visite à leurs proches. Si mes bateaux sont mes bébés, comme mes quatre enfants, l’équipage est aussi ma famille. Ils sont payés toute l’année, même lorsque les bateaux sont à quai, l’été. Ils sont pratiquement tous là depuis les débuts du Rois il y a quinze ans. Cela se sent. Ils aiment le bateau et les passagers.
Vous souhaitez vous rapprocher du marché belge ?
M.S : Les touristes belges sont très agréables, ils disent lorsqu’ils sont contents ! Ils aiment les voyages à la carte. Nous en accueillons déjà beaucoup. Depuis le covid, les clients ont changé – certains connaissent mieux la destination ou le produit qu’un agent de voyage. Ce dernier doit suivre la tendance et être, également, plus spécialisé. Il n’y a qu’un seul fleuve mais plein de possibilités de naviguer. C’est un appel aux directeurs d’agence : faites voyager vos employés ! Ils peuvent nous appeler : nous leur envoyons les brochures numériques et, sur demande, des brochures papier. Nous expliquons notre philosophie, nous organisons tout le voyage et nous accordons une belle commission de 10%. Début décembre, nous organisons un voyage d’expérience pour une dizaine d’agents de voyages belges. Contactez-nous !
Que peut-on vous souhaiter pour les trente prochaines années ?
M.S : On me parle d’une troisième dahabieh, mais je ne fais pas la course aux bateaux non remplis. Nous verrons… Ce qui est plus à l’ordre du jour, c’est mon projet de ferme biologique à Louxor. J’ai acquis un terrain de 2.000m2 près de la Vallée des Reines pour fournir les fruits et légumes à nos deux bateaux. Vous avez goûté nos tomates ? Nous allons aussi y mettre des poules.
A lire : première partie, la croisière
Pratique
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