Le célèbre site du Mont Saint-Michel vient d’annoncer qu’il envisageait de gérer sa fréquentation touristique grâce à l’intelligence artificielle. Son recours à la technologie Flux Vision de l’opérateur telecom Orange vise à anticiper les flux touristiques grâce aux données transmises par les antennes relais, et ainsi à mieux répartir les visiteurs. Le recours à l’IA n’est pas nouveau pour mieux gérer les flux touristiques. Le Puy du Fou, Disneyland Paris ou l’aquarium Nausicaa utilisent déjà la solution d’Apollo Plus.
L’intelligence artificielle et l’exploitation des données sont les derniers avatars des lieux touristiques s’employant à lutter contre ce phénomène de saturation qu’on nomme surtourisme, hypertourisme, overtourisme… Venise a instauré une taxe à l’entrée pour ceux qui s’y rendent à la journée, et envisage de limiter les groupes à 25 personnes. Bali impose également une nouvelle taxe aux visiteurs étrangers. Amsterdam a décidé d’interdire l’accès de son port principal aux bateaux de croisière, et s’emploie à décourager les amateurs de « vacances de débauche » dixit son maire.
A Portofino, les visiteurs à pied ne peuvent plus s’arrêter prendre des photos dans certaines «zones rouges». A Athènes, le système de réservation vise désormais à limiter l’accès de l’Acropole à 20 000 personnes par jour. La même technique des accès sur réservation est utilisée pour freiner le nombre de randonneurs sur les sentiers de la Via Dell’Amore ou de la calanque de Sugiton. D’autres sites décident de faire payer l’entrée tel le Panthéon à Rome. Et de nombreuses villes s’emploient à réduire le nombre des locations de meublés de tourisme de courte durée (de type Airbnb) dans leur centre historique. Cette liste des initiatives est bien sûr loin d’être exhaustive.
Une chose est sûre : les effets néfastes du surtourisme sont désormais appréhendés à leur juste mesure par les professionnels, comme en témoigne le rapport récent de l’Alliance France Tourisme : ce groupe de réflexion – qui réunit des acteurs majeurs du secteur tels Accor, Belambra, SNCF Connect ou la Compagnie des Alpes – propose quelques pistes de réflexion (voir ses 10 recommandations).
On connait donc mieux aujourd’hui leur approche du surtourisme. Mais qu’en est-il des touristes eux-mêmes, qui peuvent aussi habiter dans des zones touristiques et constituer les populations locales ? Quelle est leur perception du phénomène ?
Une étude du voyagiste Evaneos sur “Les Français face au surtourisme”, réalisée le mois dernier par le sondeur OpinionWay (*), montre que les trois quarts de nos voisins interrogés ont déjà renoncé à visiter un site en raison du temps d’attente. Certains lieux touristiques se distinguent aux yeux des Français par leur surfréquentation. Avec deux lieux particulièrement emblématiques, d’abord la Tour Eiffel (52%) puis le Louvre (31%), Paris apparaît comme la première victime de son succès. Pour 66% des personnes interrogées, il s’agit de la ville la plus touchée par le surtourisme. Elle est suivie par Venise et la place Saint-Marc (41%).
« Avec deux monuments emblématiques en première et troisième position, Paris est la ville la plus touchée par le surtourisme selon l’échantillon de personnes interrogées. Une perception qui contraste avec les statistiques de fréquentation où la Tour Eiffel arrive seulement en septième position derrière la Cité interdite, le Château de Versailles, le Mémorial de Lincoln à Washington, le Colisée en Italie, le Taj Mahal en Inde. La proximité avec des sites sur- fréquentés rend le surtourisme plus visible aux yeux des Français » constate Laurent de Chorivit, Co-CEO d’Evaneos.
Si 41% des Français déclarent avoir subi le surtourisme (en particulier les couples avec enfants à 53%), ils sont encore plus nombreux (92%) à pointer du doigt au moins l’un de ses effets concrets : de la saleté ou des déchets observés sur des sites (84%), une foule trop importante (74%) ou le temps d’attente trop long (71%). 47% des Français ont déjà fait la queue pour prendre la photo d’un site emblématique… en tout point identique à celle des autres touristes.
« Il existe un décalage entre le sentiment d’avoir subi le surtourisme et le vécu réel des Français. Un paradoxe qui traduit une forme de normalisation du phénomène, sans le nommer comme tel. Aujourd’hui, faire la queue pendant des heures, tenter d’apercevoir un tableau parmi une foule de curieux ou encore esquiver les déchets sur un site touristique se banalisent, si bien que certains ne le perçoivent pas comme une conséquence directe de la sur-fréquentation. Un immense travail de sensibilisation reste encore à faire ! » note pour sa part Aurélie Sandler, Co-CEO d’Evaneos.
Le surtourisme a donc des conséquences clairement identifiées par les Français. Fait étonnant, l’impact néfaste pour la vie locale prime l’inconfort généré pour les touristes sur place. Le premier impact perçu est ainsi la dégradation des sites touristiques avec la présence de déchets ou des tags (67%), la dégradation des ressources naturelles présentes sur les sites (61%), la dégradation de la qualité de vie pour les populations locales (57%), la hausse du coût de la vie pour les populations locales (49%). L’impact pour les touristes n’est finalement relevé que par moins de la moitié des Français. La seule conséquence liée à l’expérience des touristes sur place qui dépasse la barre des 50% est l’augmentation des prix (54%).
Pour remédier à ces situations, nos voisins ont déjà commencé à adopter de nouvelles habitudes de voyage : les trois quarts déclarent chercher des destinations de vacances avec peu de touristes (75%) et presque la même proportion préfère des itinéraires hors des sentiers battus (72%), même lorsqu’ils vont sur des sites qui connaissent une forte affluence touristique. C’est particulièrement le cas des voyageurs fréquents qui sont 83% à fuir les touristes et 79% à choisir des itinéraires alternatifs.
Une tendance au “slow tourism” se dessine par ailleurs puisque 68% des Français se disent prêts à limiter leur nombre de voyages. Certains sont même prêts à aller plus loin et soutiennent majoritairement l’instauration de quotas pour limiter la sur-fréquentation des sites (52%). 81% des 18-25 ans privilégient les destinations de vacances avec peu de touristes, plutôt que des itinéraires alternatifs dans des destinations déjà sur-exposées (72%).
« Certains renoncent à des destinations saturées au profit de sites moins exposés, d’autres planifient des itinéraires alternatifs pour éviter les lieux trop fréquentés. La dynamique est bonne, mais il faut accélérer, prévient toutefois Laurent de Chorivit.
En revanche, s’ils sont prêts à faire des efforts, le prix reste le principal frein : seule une minorité de Français serait prête à payer plus cher pour son voyage (26%). Cette proportion s’élève néanmoins à 34% chez les voyageurs fréquents et à 54% pour ceux ayant le sentiment de contribuer au surtourisme.
(*) Cette étude a été réalisée auprès d’un échantillon de 1009 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, constitué selon la méthode des quotas, au regard des critères de sexe, d’âge, de catégorie socioprofessionnelle, de catégorie d’agglomération et de région de résidence. Les interviews ont été réalisées par questionnaire auto-administré en ligne sur système CAWI (Computer Assisted Web Interview) du 24 au 25 janvier 2024.