« Les politiques ne comprennent pas qu’une nouvelle classe sociale s’est formée après la crise »

La France s’apprête à voter massivement Front National au premier tour de la présidentielle, si l’on en croit les sondages. En Belgique, et en Wallonie en particulier, même si l’on en parle pas trop officiellement, des sondages sous le manteau créditent le PTB, le parti d’extrême gauche, d’excellents scores. Il serait même premier à Liège.

Bien entendu, le scandale Publifin n’est pas étranger à cette montée du vote PTB, mais le point commun entre les votes wallon, français, britannique (pour le Brexit) ou américain (Donald Trump), c’est la montée des inégalités de revenus. Il est là le véritable déclencheur des populismes de droite et de gauche.

Mes confrères du magazine suisse Bilan m’ont fait découvrir le romancier bulgare Guéorgui Gospodinov, dont la renommée a dépassé les frontières de son pays, qui estime que la mélancolie, si caractéristique de son pays, a désormais envahi toute l’Europe. La mélancolie est un sentiment dangereux, car en tant que romancier, il sait que si l’Histoire avec un grand H est écrite par les vainqueurs, mais les histoires, elles, sont écrites par les vaincus.

Les romanciers sont souvent de meilleurs témoins de notre société que les sociologues, et c’est pour cela que ce romancier bulgare, au travers de mes confrères de Bilan, nous rappelle qu’il s’est accumulé dans notre monde une masse critique de haine, d’insécurité, de folie, et que hélas tout cela est démultiplié par les nouveaux médias qui en font leur beurre. Les avis se radicalisent, la parole se libère et, comme il l’écrit joliment, un « djihadisme intérieur sommeille en chacun de nous ».

Des démographes britanniques (Richard Wilkinson et Kate Pickett) vont dans le même sens que ce romancier. En analysant plusieurs pays sur plusieurs années, ils sont arrivés à la conclusion que la montée des inégalités est la cause du malaise ambiant. Ces chercheurs ont démontré qu’un statut social faible augmente le niveau de stress psychologique. C’est bien sûr ce qui arrive quand on est au chômage ou que l’on n’arrive pas à payer ses factures, même avec un travail stable.

« Ce n’est pas la richesse qui fait le bonheur des sociétés, mais des conditions plus égalitaires »

Thomas Scheff, un autre chercheur californien épinglé par mes confrères de Bilan, a également démontré que ce qui faisait le plus augmenter le niveau des hormones de stress, c’était la menace d’évaluation sociale. En clair, plus vous êtes humilié, plus vous perdez votre dignité, plus vous perdez confiance en vous, et plus vous êtes susceptible de succomber à la violence ou au vote pour les partis extrêmes. En d’autres mots, la fierté et la honte sont les ressorts premiers d’un vote citoyen. Et lorsque les inégalités s’accroissent, c’est la honte qui prend le dessus et celle-ci fait souvent voter aux extrêmes.

D’ailleurs, la conclusion de l’étude des démographes britanniques est assez simple: ce n’est pas la richesse qui fait le bonheur des sociétés, mais des conditions plus égalitaires.

Il ne faut pas chercher plus loin les raisons de la colère qui a saisi les citoyens lorsque Louis Michel a maladroitement évoqué le salaire de « misère » de 4.800 euros nets par mois pour les parlementaires belges. Même si c’est à tort, ces propos ont été interprétés comme un signe de plus que la Belgique d’en haut n’avait plus de contact avec la réalité, avec la Belgique d’en bas, celle de la majorité de la population.

La leçon de cet incident est claire: les politiques en Europe n’ont pas encore compris qu’il y a une nouvelle classe sociale qui s’est constituée après la crise, et cette nouvelle classe, c’est le précariat (contraction de « précarité » et « prolétariat »), une classe sociale minée par l’insécurité économique et l’angoisse quotidienne de la précarité.

Pour éviter que de menacée, elle ne devienne menaçante, nos politiques devront bien un jour répondre aux questions de cette nouvelle classe sociale. Le plus tôt sera le mieux pour la sécurité publique…

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