Christophe Depreter, depuis mai dernier le Secrétaire général de l’Upav (l’Union Professionnelle des Agences de Voyages belges), intervenait en fin d’année dernière, lors d’un diner du Skål International Brussels, sur le thème «Quel avenir pour nos agences de voyages». Nous lui avons demandé de revenir pour nous sur les principaux points de son intervention. Laquelle entrait bien souvent en résonnance avec les sujets chauds du moment. Interview.
Avant de parler de l’avenir, un mot sur le passé : cela fait 30 ans qu’on nous annonce la disparition prochaine des AGV. Or, elles sont toujours là !
Christophe Depreter : Les agences s’emploient depuis longtemps à garder la tête hors de l’eau. Mais leur quotidien est de plus en plus difficile. Le secteur, même aidé par les pouvoirs publics, a beaucoup souffert pendant la crise du Covid. Il a fait le dos rond et s’en est bien tiré. Nous n’avons enregistré que 11 faillites pendant la pandémie, ce qui témoigne d’une forte résilience. Et d’une capacité de rebond surprenante.
Comment cernez-vous le marché des AGV belge ?
C.D : C’est un marché plus important dans le nord que dans le sud, avec ses 1 100 agences de voyages dont environ 40% se trouvent en Wallonie. Le Belge adore sortir de ses frontières. C’est un réflexe naturel chez lui. Et il aura ainsi plus volontiers recours à une agence de voyages que dans d’autres pays frontaliers telle la France. Le marché des agences de voyages belges est aussi un monde qui bouge beaucoup, qui se remet en question, même si certaines habitudes sont bien ancrées. Un petit milieu où tout le monde se connait, où l’humain est important. Les gens qui travaillent dans ce secteur sont souvent des mordus, des amoureux de leurs métiers, motivés et passionnés. Ils ont envie de se battre, de trouver tous les moyens possibles pour survivre.
Quels sont les défis d’aujourd’hui et de demain pour les agences de voyages ?
C.D : Le premier défi est celui du tourisme durable. Encore faut-il que nos agences soient convaincues qu’il faut bouger. Dans le cas contraire, elles devront gérer ces changements contraintes et forcées. L’UPAV doit être un moteur pour les aider à appréhender les bouleversements en cours. Autre défi : revoir notre manière de travailler, dans une approche plus marketing. Les agences doivent s’interroger sur leur maillon faible, entre le produit, le prix, la promotion, la prospection, le personnel, l’emplacement, les process… Nous devons réévaluer le fonctionnement de nos agences, les aider à corriger leurs points faibles. Un dernier axe me tient à cœur, qui peut surprendre et que je teste à droite à gauche : l’activité réceptive des voyageurs étrangers. Cela pourrait être une source de diversification et de croissance. Je découvre que l’offre est déjà bien structurée. Et je note au passage le travail très positif de Wallonie Belgique Tourisme.
Je reviens notamment sur le produit. Les agences doivent s’interroger, se poser les bonnes questions. Qu’est-ce que je vends ? A qui ? A quelle génération ? Et comment s’adapter à telle ou telle génération ? Les générations X ou Y, par exemple, se contentent d’un vol avec l’hôtel quand la génération Z est davantage en quête d’une offre à fort contenu émotionnel. J’en profite pour rappeler que l‘UPAV lance, à partir de ce mois de janvier, des formations sur cette génération Z, ainsi que des groupes de travail, pour savoir comment réfléchir à la meilleure manière d’adapter l’offre à cette génération.
Faut-il que le vendeur soit d’abord un expert sur quelques produits, ou plutôt un généraliste capable de vendre tous types de voyages ?
C.D : Beaucoup d’agences se sont spécialisées, ont choisi un segment du marché. Certaines, par exemple, se concentrent sur une population plutôt aisée. L’agence doit avant tout connaitre ses atouts, ses goûts, privilégier ce qu’elle sait faire le plus facilement. La pression écologique croissante, et le public qui change, devraient contribuer à orienter les agences non pas vers une mais vers plusieurs niches. Les plus gros acteurs peuvent proposer un offre plus variée, en s’appuyant sur un personnel formé dans un nombre plus vaste de domaines.
L’environnement est très concurrentiel, entre agences en ligne, compagnies aériennes, TO et réceptifs qui vendent en direct…
C.D : Les agences doivent s’appuyer sur deux pieds, le offline bien sûr, mais aussi le online. Il ne s’agit pas d’essayer de concurrencer les experts du net, mais d’attirer dans les agences une nouvelle clientèle. A ceux qui pensent qu’ils peuvent se passer des agences, acheter leur billet d’avion et réserver leur hôtel eux-mêmes, il faut insister sur les avantages de recourir à leurs services, avec par exemple la garantie financière ou la facilité pour joindre un interlocuteur au téléphone en cas de problème…. Là commence la fidélisation du client. L’effort doit aussi porter sur l’après-voyage, sur le retour d’expérience. Il n’est pas inutile de rappeler également que les commissions des agences de voyages ne sont pas très élevées.
Quels sont vos axes de travail pour les prochains mois ?
C.D : Nous devons aider nos agences, de façon extremement concrète, sur les différents dossiers : garantie, faillite, juridique, TVA, annulations de vols, grèves… Nous devons commencer à préparer et mettre à leur disposition les instruments devant assurer leur pérénité. Le premier axe c’est la formation. Beaucoup sont déjà très bien formés. Nous devons proposer les formations qui leur manquent encore. Deuxième axe : les aider à recruter le personnel dont elles ont besoin pour grandir. Pour le trouver et le former, nous mettons en place un plan d’action en Wallonie, en liaison avec l’Office national de l’emploi. L’UPAV va par ailleurs publier un catalogue d’une vingtaine de formations à l’adresse des professionnels. Nos formations sont prêtes. Nous allons commencer à communiquer là-dessus.
Il faut enfin les aider à gérer leurs agences selon les principes du yield management, à leur faire prendre conscience de l’effort qu’elles doivent porter vers une plus grande digitalisation. Les agences sont le plus souvent sous la pression de la vente. A l’UPAV, nous avons la chance d’avoir un peu plus de recul pour observer le marché, pour identifier les nouveaux produits qui peuvent leur être utiles. A ceux qui souhaitent faire connaitre leurs produits, notre porte est ouverte !
La Commission européenne vient d’approuver la réforme du système de protection contre l’insolvabilité dans le secteur du tourisme en Belgique…
C.D : Lors de mon intervention au diner du Skål, j’avais relevé la nécessité de renforcer la crédibilité de notre secteur. Lorsqu’elles règlent des difficultés liées par exemple à des annulations pour cause de grève ou de pandémie, les agences témoignent alors de leur valeur ajoutée. Notre rôle est d’aider à le faire savoir. Notre image a néanmoins été ternie par certaines faillites qui ont eu pour conséquence qu’un nombre non négligeable de nos clients ont subi une perte sèche en n’étant pas remboursés de leur voyage transformé en bon-à-valoir non valable, c’est-à-dire non couvert par le Fonds de Garantie. Cette question est importante pour l’UPAV.
Nous espérons que le feu vert de l’Europe à ce fonds de garantie des assurances en insolvabilité va dynamiser notre marché. En cas de dommage supérieur à ce plafond d’intervention par assureur par année, l’indemnisation ne devra en effet être payée que partiellement par l’assureur, le surplus étant couvert par ce nouveau fonds de garantie financé par l’Etat belge pendant les cinq prochaines années. Ce projet doit renforcer la confiance du public envers les professionnels du secteur.
Quand vous dites qu’il faut mieux faire connaître les avantages de passer par une agence, cela pourrait-il passer par une campagne en direction du grand public ?
C.D : Nous sommes en train d’y réfléchir pour l’année 2023. Si cela se fait, ce qui est un vrai souhait de notre part, ce sera dans ce cas probablement une campagne en ligne.