J’ai récemment donné une conférence au Skal Club de Bruxelles sur le thème : Ecologie et tourisme : le divorce ? Le sujet m’avait été inspiré par le titre-choc du blog Reporterre : Faut-il interdire le tourisme ?
Le débat qui s’ensuivit était intéressant, mais reprenons les points principaux de cette conférence.
Chaque déplacement est source d’émissions nocives. Mais si le transport est responsable, comme on le dit, de 25% de toutes les émissions nocives, quelle est la part du tourisme dans ces 25% ? Sur les 100.000 vols quotidiens dans le monde, qui remplit les avions, par exemple un mardi du mois d’octobre ? Les touristes ?
On est généralement d’accord pour dire que l’aviation représente 3 à 4 % des émissions nocives. Du coup, l’aviation est pointée du doigt comme le monstre à abattre. Mais les autres 97%, qui les combat ?
Faut-il comme à Bruxelles, forcer les gens au vélo et à la marche ? Mais le monde est-il réservé aux jeunes en bonne santé ? Et eux-mêmes, comment vont-ils aller chercher un bac de bières à vélo ? Allons, un peu de bon sens, et surtout un peu d’empathie pour les personnes âgées, ou en bas âge, ou malades, ou handicapées ne fut-ce que légèrement. Il suffit d’ailleurs qu’il pleuve pendant deux jours pour voir le nombre de cyclistes chuter de 80% (j’invente ce chiffre, évidemment, je fais comme tout le monde !).
Les chiffres dont on nous abreuve sont très souvent faux : on a dit et écrit sur les réseaux sociaux qu’un gros bateau de croisière consommait l’équivalent de la consommation d’1 million de voitures !!! Or le RTA96-C qui équipe les plus gros bateaux est le moteur diesel le plus puissant du monde. Il fait 108 920 chevaux, ou 1000 voitures de 108 CV. Il consomme environ 7500 litres (1000 voitures à 7,5 l) de diesel par heure lorsqu’il est en pleine charge et sa cylindrée est de 25 480 litres (ou 1000 mobylettes de 25 cm², ou 25 voitures de 1000 cm²)
Ceci dit, s’il y a 6000 personnes sur un bateau, il est évident qu’elles émettent des déchets comme le font 6000 personnes n’importe où ailleurs dans le monde. Donc ces personnes ne polluent pas plus, elles polluent ailleurs ! Et les nouveaux bateaux de croisière recyclent entièrement et à 100% tous les déchets et toutes les eaux usées, ils dessalent même l’eau de mer à bord ! Conclusion : si le tourisme pollue, la naissance aussi. Le simple fait de naître est notre première contribution à la pollution mondiale. La seule solution vraiment efficace serait la disparition de l’humanité, et celle des animaux aussi, bien sûr.
Il existe aussi des chiffres cachés : la pollution d’internet et de l’industrie du vêtement qui à elles seules sont responsables de 30% des émissions nocives. Ajoutés aux 25% du transport, cela fait déjà 55%, mais qui donc est responsable du reste ? Le reste des activités économiques, évidemment. Depuis votre boulanger qui doit produire la chaleur de son four jusqu’aux plus grosses usines sidérurgiques ou chimiques et notre chauffage domestique à tous ! 30% de pollution en plus, soit 85% des émissions nocives, mais aussi, tout cela ensemble, 85% de l’emploi dans le monde.
Reste 15%. Et savez-vous d’où ils proviennent ? De la nature elle-même : la décomposition des végétaux, les incendies spontanés ou non, mais surtout, surtout : les volcans ! La pollution par les volcans est gigantesque, tout le monde le sait, mais que fait-on pour les interdire ? Il faut absolument organiser une marche blanche contre les éruptions volcaniques, et les interdire à tout jamais. Il en est de même pour la pollution sonore due aux orages : qui manifeste contre les orages ? Personne ! C’est terriblement injuste par rapport aux autres sortes de pollutions sonores, au premier rang desquelles figure l’avion.
Quelle industrie fait plus d’efforts que celle du voyage ? Le problème est plus idéologique qu’environnemental : il s’agit d’abattre le capitalisme, dont l’avion, la grosse voiture SUV, le golf, Total Energie ou Coca Cola sont des symboles faciles à atteindre.
Mais le monde est divisé en secteur marchand et secteur non-marchand. Ce dernier se plaint de sa mauvaise qualité de vie due aux activités du secteur marchand. Mais il oublie une chose essentielle : : le secteur marchand produit de la richesse, et le non-marchand la dépense ! Les deux sont nécessaires. Et si le secteur marchand est heureux que les bateaux de croisières accostent contre la lagune de Venise, c’est le secteur non-marchand –ici le monde politique- qui l’autorise, voire même qui en fait la demande expresse. En plus de cela, sur les 33 M de visiteurs à Venise par an, seuls 3 M, soit 10%, viennent d’un bateau de croisière. Mais qui combat les autres 90% ?
C’est purement idéologique, et rappelons que le seul pays où le tourisme a été interdit pendant des décennies était l’URSS. On se souvient encore de la joie de vivre de ses citoyens.
Il est évident que le surtourisme est une plaie pour les locaux, mais il est tout aussi évident qu’il leur apporte plus de richesses en devises et en main d’œuvre essentiellement. Le drame porte surtout sur l’utilisation abusive de l’eau de consommation, et sur la montée des prix du sol, de l’immobilier et des services pour les autochtones. AirBnB est certainement coupable de l’impossibilité pour les jeunes de l’endroit de vivre là où ils ont grandi, c’est à dire entre autres à Paris, Amsterdam, Barcelone, Madrid, Prague, Vienne et beaucoup d’autres villes.
Le tourisme se débat dans la recherche d’autres formules qui donnent bonne conscience :
– l’écotourisme : faire du tourisme en faisant attention à tout ce que l’on produit comme déchets, depuis le carburant fossile jusqu’aux déchets ménager, tout en favorisant l’économie locale en circuit court. Et ça marche, mais est-ce jouable partout ? A Benidorm, à Palma ? Des toilettes sèches dans la chaîne des hôtels Ritz ?
– le tourisme responsable : c’est une forme de tourisme qui prend en compte avant tout le respect des populations locales, sans gâcher leur économie, leurs us et coutumes. Le all-in en est l’inverse : on achète le soleil et la mer, où que ce soit, et tout ce que l’on consomme est produit et consommé en vase clos, laissant aux autochtones les tâches ancillaires et dégradantes.
– le tourisme à la ferme : jouir d’un logement de vacances familiales, tout en donnant un coup de main au fermier qui, en juillet-août, est en pleine période des moissons. Main d’œuvre gratuite contre vacances gratuites, avec en plus l’éducation des enfants à la vie d’une ferme. Mais il n’y a pas des millions de fermes, donc quelque part, c’est limité et donc élitiste.
– le tourisme participatif : il est comme le tourisme à la ferme, mais pour d’autres métiers auxquels on peut s’initier et/ou donner un coup de main, dans les soins de santé par exemple, dans l’artisanat.
Mais nos agents de voyages peuvent-ils survivre avec ces niches?
Penchons-nous maintenant sur ce qui risque de tuer le tourisme :
– le low cost. Revenir à un tourisme élitiste, mais une élite non financière mais qualitative. Est-ce possible ?
– Instagram et Tik-Tok, ces vecteurs ultra-influents des endroits où il faut absolument aller dans sa vie pour ne pas paraître idiot : des endroits déjà tellement courus qu’ils sont victimes de surtourisme, comme c’est le cas du Machu Picchu, par exemple. Ces sites sont aux mains des influenceurs, dont l’objectif est d’obtenir le plus d’avantages, de gratuités possibles pour faire la promotion d’un lieu ou d’un service. Ce qui rend fou dans cette nouvelle forme de marketing complètement éphémère, c’est la place que lui accordent les fournisseurs de services : régions, hôtels, transporteurs, etc. Ils offrent à ces influenceurs plus et mieux pour une parution incontrôlable et éphémère, sans comparaison possible avec un article publié et des photos que l’on va garder au moins plusieurs jours, sur lesquels on va revenir, qui vont réellement influencer le choix d’un possible client. Les fournisseurs ici sont dans une course irresponsable à l’éphémère et au jeunisme, ils craignent de rater le train en marche sans se rendre compte que ce train ne mène nulle part.
95% des touristes sont concentrés sur 5% des territoires mondiaux. Le rôle, le devoir même des agences de voyages, ce serait d’orienter les clients vers ces nouvelles formes de tourisme ; c’est donc une éducation, mais avec un aspect de conseils originaux, des idées nouvelles, qui sont transposables dans les 95% du monde qui sont actuellement ignorés des touristes.
Le débat qui suivit fut bien animé par Philippe Hagelstein, qui, répondant à la question de l’avenir des agences, disait que cette question était déjà posée il y a quarante ans. Et c’est vrai ; mais il faut dire aussi qu’il y a beaucoup moins d’agences que quarante ans en arrière.
Enfin la question la plus cruciale, c’est peut-être : comment faire venir les jeunes dans une agence de voyages ?
J’ajouterais : dans le transport aérien qui représenterait 3% à 4% quelle est la part du transport de passagers et la part du fret qui nous permet de recevoir les marchandises que nous consommons… y compris ceux qui sont contre le transport aérien et le font savoir par leur dernier smartphone !!!!!!
Idem pour le transport maritime !!!!