La Turquie a une nouvelle fois été frappée par le terrorisme samedi soir. Vers 22h30, un double attentat à la bombe revendiqué par le TAK a fait au moins 38 morts – dont 30 policiers – et plus de 160 blessés, d’après un dernier bilan, toujours provisoire. L’attaque visait les forces de l’ordre (policiers anti-émeute) disposées autour du stade de Besiktas. Le pays a décrété une journée de deuil dimanche au lendemain.
La police visée
Les terroristes ont utilisé une voiture piégée en visant un car de transport des forces antiémeutes près du stade de football de Besiktas, environ deux heures après le match. Un kamikaze s’est fait exploser moins d’une minute plus tard au milieu d’un groupe de policiers dans un parc voisin, selon les autorités.
La série de détonations a été entendue jusqu’à la rive asiatique. Les forces de l’ordre ont bouclé le quartier, situé dans le centre de la ville en bordure du Bosphore ; un quartier très fréquenté de la rive européenne au croisement d’importants axes routiers et de lignes de transports en commun.
Des dizaines de policiers, mitraillette en bandoulière ou arme au poing, empêchaient tout passage, tandis qu’un hélicoptère survolait le quartier. Des images de télévision montraient la carcasse calcinée d’une voiture et deux incendies dans une rue devant le stade.
Des dizaines d’ambulances arrivaient sur place toutes sirènes hurlantes, tandis que d’autres s’éloignaient des lieux avec des blessés à leur bord, a constaté un journaliste de l’AFP sur place. Des témoins ont déclaré avoir entendu des coups de feu juste après les explosions, ce qui est accrédité par plusieurs vidéos diffusées sur internet et la présence de douilles au sol sur les photos.
Avant la revendication de l’attentat, le ministre de l’intérieur Süleyman Soylu et le vice-Premier ministre Numan Kurtulmus ont affirmé que les premiers éléments recueillis pointaient en direction des séparatistes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Les autorités ont annoncé avoir interpellé 10 personnes tandis que le Président Erdogan a déclaré : « Nous sommes témoins de l’aspect le plus ignoble du terrorisme. Le fait que l’auteur soit le PKK, Daesh ou FETÖ n’a aucune importance, nous ne lâcherons jamais ces cruels ! Toutes les organisations terroristes attaquent dans un même but. A chaque fois que la Turquie note un progrès, elle est confrontée à l’effusion de sang et à la cruauté des organisations terroristes ».
Le TAK revendique l’attentat
En effet, l’utilisation d’un véhicule piégé et la cible policière correspondent davantage au modus operandi des terroristes kurdes plutôt qu’à celui de Daech. L’organisation État islamique a pour habitude d’utiliser des kamikazes pour faire un maximum de victimes civiles, sans discrimination, là où les terroristes kurdes visent surtout les autorités (police, armée, ministère). Or, l’attentat visait clairement les forces de l’ordre.
Néanmoins, des attentats kurdes ont déjà été perpétrés de manière plus indifférente : le TAK (« Les faucons de la liberté »), un groupe dissident du PKK encore plus radical et violent, avait notamment revendiqué l’attentat-suicide commis dans le centre d’Istanbul en juin dernier, tout en mettant en garde les touristes.
Pourtant, les attentats de type kamikaze ne correspondent pas, en règle générale, aux techniques de guérilla utilisées par les kurdes. Ils sont le fait d’islamistes radicaux, quelles que soient les tendances. Il semble que le TAK représente cette exception, puisque le groupuscule terroriste kurde a revendiqué l’attentat dimanche soir vers 18h30 (heure turque).
C’était avant tout la cible visée qui a permis de pointer dans la direction kurde, car le mode opératoire des différents groupes terroristes tend à se superposer de plus en plus. Depuis plusieurs mois, on redoute aussi par exemple que des combattants de Daech revenus de Syrie et d’Irak aient été suffisamment formés comme artificiers pour arriver à piéger des véhicules. Cette menace concerne aussi bien l’Europe et pourrait constituer une nouvelle tendance.
Attaques à répétition
Cette année, la Turquie a été la cible de nombreuses attaques liées à la rébellion séparatiste du PKK et du TAK ou attribuées au groupe État islamique, qui ont notamment frappé Istanbul et Ankara. Tant l’organisation État islamique que les mouvances terroristes kurdes (PKK/TAK) cherchent à se venger des opérations turques à leur encontre. En octobre déjà, les États-Unis avaient ordonné l’évacuation des familles des employés de leur consulat face aux risques d’attentats à Istanbul.
Le coup de grâce pour le tourisme ?
Depuis ces attentats successifs, le tourisme turc – qui rapporte habituellement près de 30 milliards d’euros par an – est en chute libre. Au mois d’avril dernier déjà, on constatait une chute de près de 30% par rapport à la même période en 2015. Il est évident que la tendance n’est pas à l’amélioration. Les arrivées de touristes sont au plus bas depuis 22 ans et le syndicat des tour-opérateurs français (Seto) rappelait que les intentions de départs pour la Turquie l’été dernier étaient déjà en chute de 77%.
Malgré tout, le gouvernement turc a mis en œuvre d’importants moyens pour maintenir le secteur à flot et limiter le nombre de faillites : aides financières, diminution des taxes et impôts, restructuration de la dette des entreprises, etc. On assiste également au développement du tourisme halal pour attirer les touristes des pays arabes et les Iraniens. Mais ça ne suffit pas à compenser la chute amorcée par les attentats.
Il y a trois jours encore, le Vice-Ministre de la Culture affirmait dans une interview accordée à l’agence Anadolu (AA) « viser à attirer 5 millions de touristes russes par an avant de porter ce chiffre à 10 millions », mettant en avant les plages turques, les baies et les zones montagneuses.
Michaël Boumal à Istanbul