La fable paradoxale des start-up et des entreprises

Le regretté homme politique Jean Gol aimait s’inspirer des fables de la Fontaine. Il estimait que la lecture de ces fables était un bon guide de survie dans le monde politique. J’ai tendance à ajouter que c’est sans doute également un bon guide de survie pour le monde économique.

Je pense en particulier à l’excellente fable du lièvre et de la tortue. Les lièvres aujourd’hui, ce sont les start-up. Elles sont à la mode, les médias ne parlent que d’elles. Quant aux tortues, ce sont les entreprises traditionnelles, celles qui apparaissent de nos jours, comme l’écrivent justement mes confrères des Echos, « en pré-autopsie », tellement elles semblent représenter à elles seules tous nos archaïsmes.

Mais cette image est fausse. En réalité, elle est même injuste. Si les start-up ont tellement la cote aujourd’hui, c’est parce qu’elles représentent des discours à la mode: agilité, modernité, « small is beautiful », etc. Autant de discours valorisés par les médias et les politiques. Il vaut mieux être un lièvre aujourd’hui – pardon, une start-up – si on veut briller dans un cocktail, même s’il faut aussi reconnaître que derrière ce mot de start-up se cache parfois aussi du chômage déguisé…

De leurs côtés, les grandes entreprises n’ont pas attendu les start-up pour innover, elles le font chaque jour. Seulement ces innovations passent souvent inaperçues, car elles sont diluées dans l’immensité de leur structure. Que ce soit dans la banque, l’assurance, le commerce de détail, l’automobile, l’énergie ou la poste, toutes ces grandes entreprises innovent en permanence, mais souvent sous le radar des médias et des politiques. Et donc aujourd’hui, les tortues ne sont plus valorisées et on a plus d’yeux que pour les lièvres start-up.

« L’écrasante majorité des start-up n’innove pas »

C’est dommage, et le journal Les Echos a raison d’insister sur le fait que les patrons de start-up ne sont responsables que de leur bébé, alors que les dirigeants de PME ou de grandes entreprises héritent de dizaines, centaines ou milliers de collaborateurs et donc d’un destin. Au pire, l’échec d’une start-up peut s’apparenter à un accident de parcours.

On l’a vu avec ces jeunes gens spécialisés dans la livraison de repas à domicile qui ont réussi à brûler en peu de temps 16 millions d’euros, tout en se plaignant de n’avoir pas eu assez de fonds propres. Alors que quand une grande entreprise fait faillite, ce sont des familles qui sont décimées, lorsque ce n’est pas une région tout entière qui est dévastée, comme nous l’avons vu avec Caterpillar à Charleroi.

En fait, nous vivons un paradoxe. Les grandes entreprises qui sont plus surveillées, plus cadenassées par la législation, respectent mieux le cahier des charges sociales et fiscales que les start-up ! En réalité, Les Echos ont raison de rappeler que contrairement à ce qu’on pense, l’écrasante majorité des start-up n’innove pas vraiment, celles-ci ne proposent pas de vrais modèles alternatifs ou de solutions moins chères et plus pratiques. La vérité oblige à dire que la plupart du temps, ces start-up se contentent de créer leur propre niche, leurs propres micromarchés. Et au final, on peut se demander si elles vont vraiment créer de l’emploi…

Le but de cette chronique n’est bien sûr pas de décourager les créateurs de start-up. On en a aussi besoin. Mon objectif est simplement de redresser le projecteur pour ne pas être aveuglé par la mode médiatique des start-up. Mon message est simple: « n’oubliez pas les tortues ». Comme dans la fable, c’est la tortue qui gagne à l’arrivée.

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